MODERNE(S) TARTUFFE(S)
Par Michel Bellin le mardi 6 mai 2008, 09:47 - Lien permanent
On reparle ces jours de la modernité de la pièce de Molière (écrite entre 1664 et 1667) à l'occasion de la mise en scène de Stéphane Braunschweig au Théâtre national de Strasbourg. « Il évite, note Le Monde, l'angle rabâché du fanatisme religieux pour préférer le thème du recours à l'homme providentiel (directeur de conscience hier, gourou aujourd'hui). Pour ce faire, le propos a été recentré sur le personnage d'Orgon. »
Vivement que ce spectacle soit donné cet automne à Paris, et aussi à Lille, Annecy, Toulouse et Nice. Ceci dit, quand on découvre sur scène un jeune et sensuel Tartuffe torse nu (Clément Bresson) alors que la pièce s'est ouverte sur le spectacle d'ados en tee-shirts avachis devant un porno crypté à la télé, on peut à nouveau se poser la question des mises en scène dites « modernes ». J'en parlais longuement hier avec un vieil ami comédien qui a joué à peu près tous les classiques depuis cinquante ans. Il avait refusé de voir le Phèdre de Chéraud alors que j'avais été personnellement subjugué par l'interprétation et la mise en scène. La tyrannie des metteurs en scènes relecteurs des auteurs le fait sourire (il y a quarante déjà à Strasbourg, me racontait-il, les femmes savantes revenaient du tennis en shorts tandis que Trissotin débitait ses vers le transistor collé à l'oreille !), le « dépoussiérage » des chefs-d'œuvre classiques le hait hurler, et la flagornerie servile de certains médias culturels le laisse de glace.
Pour finir, qui a raison ? Sans doute le spectateur – et lui seul – qui est fasciné par un spectacle inédit ou s'enfuit en criant à la trahison ! Et l'authenticité n'est pas affaire de costume ou de perruque, sans doute davantage d'intelligence et de sensibilité en accord avec les intentions de l'auteur et la modernité de son génie. Donc à voir et à discuter. Et d'abord relire Molière.
Vivement que ce spectacle soit donné cet automne à Paris, et aussi à Lille, Annecy, Toulouse et Nice. Ceci dit, quand on découvre sur scène un jeune et sensuel Tartuffe torse nu (Clément Bresson) alors que la pièce s'est ouverte sur le spectacle d'ados en tee-shirts avachis devant un porno crypté à la télé, on peut à nouveau se poser la question des mises en scène dites « modernes ». J'en parlais longuement hier avec un vieil ami comédien qui a joué à peu près tous les classiques depuis cinquante ans. Il avait refusé de voir le Phèdre de Chéraud alors que j'avais été personnellement subjugué par l'interprétation et la mise en scène. La tyrannie des metteurs en scènes relecteurs des auteurs le fait sourire (il y a quarante déjà à Strasbourg, me racontait-il, les femmes savantes revenaient du tennis en shorts tandis que Trissotin débitait ses vers le transistor collé à l'oreille !), le « dépoussiérage » des chefs-d'œuvre classiques le hait hurler, et la flagornerie servile de certains médias culturels le laisse de glace.
Pour finir, qui a raison ? Sans doute le spectateur – et lui seul – qui est fasciné par un spectacle inédit ou s'enfuit en criant à la trahison ! Et l'authenticité n'est pas affaire de costume ou de perruque, sans doute davantage d'intelligence et de sensibilité en accord avec les intentions de l'auteur et la modernité de son génie. Donc à voir et à discuter. Et d'abord relire Molière.
[Orgon, un personnage assez important, est tombé sous la coupe de Tartuffe, hypocrite et faux dévot. Il est le seul (avec sa mère, Madame Pernelle) à en être dupe. Tartuffe réussit à le manipuler en singeant la dévotion et a réussi à devenir son directeur de conscience. Cet aventurier se voit proposer la fille de son bienfaiteur en mariage, en même temps qu'il tente de séduire Elmire, beaucoup plus jeune que son mari. Démasqué grâce à un piège tendu par Elmire afin de convaincre son mari de l'hypocrisie de Tartuffe, il veut ensuite chasser Orgon de chez lui grâce à une donation inconsidérée que celui-ci lui a faite de ses biens. En se servant de papiers compromettants qu'Orgon lui a remis, il va le dénoncer au roi. Imprudence fatale : le roi a conservé son affection envers celui qui l'avait jadis bien servi. Il lui pardonne et c'est Tartuffe qui est arrêté.]
ACTE III, SCÈNE VI. - Orgon, Damis, Tartuffe.
ORGON.
Ce que je viens d'entendre, ô Ciel ! est-il croyable ?
TARTUFFE.
Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable,
Un malheureux pécheur, tout plein d'iniquité,
Le plus grand scélérat qui jamais ait été ;
Chaque instant de ma vie est chargé de souillures ;
Elle n'est qu'un amas de crimes et d'ordures ;
Et je vois que le Ciel, pour ma punition,
Me veut mortifier en cette occasion.
De quelque grand forfait qu'on me puisse reprendre,
Je n'ai garde d'avoir l'orgueil de m'en défendre.
Croyez ce qu'on vous dit, armez votre courroux,
Et comme un criminel chassez-moi de chez vous :
Je ne saurois avoir tant de honte en partage,
Que je n'en aie encor mérité davantage.
ORGON, à son fils.
Ah ! traître, oses-tu bien par cette fausseté
Vouloir de sa vertu ternir la pureté ?
DAMIS.
Quoi ? la feinte douceur de cette âme hypocrite
Vous fera démentir...?
ORGON.
Tais-toi, peste maudite.
TARTUFFE.
Ah ! laissez-le parler : vous l'accusez à tort,
Et vous feriez bien mieux de croire à son rapport.
Pourquoi sur un tel fait m'être si favorable ?
Savez-vous, après tout, de quoi je suis capable ?
Vous fiez-vous, mon frère, à mon extérieur ?
Et, pour tout ce qu'on voit, me croyez-vous meilleur ?
Non, non : vous vous laissez tromper à l'apparence,
Et je ne suis rien moins, hélas ! que ce qu'on pense ;
Tout le monde me prend pour un homme de bien ;
Mais la vérité pure est que je ne vaux rien.
(S'adressant à Damis.)
Oui, mon cher fils, parlez : traitez-moi de perfide,
D'infâme, de perdu, de voleur, d'homicide ;
Accablez-moi de noms encor plus détestés :
Je n'y contredis point, je les ai mérités ;
Et j'en veux à genoux souffrir l'ignominie,
Comme une honte due aux crimes de ma vie.
ORGON.
(A Tartuffe.)
Mon frère, c'en est trop.
(A son fils.)
Ton coeur ne se rend point,
Traître ?
DAMIS.
Quoi ! ses discours vous séduiront au point...
ORGON.
Tais-toi, pendard.
(A Tartuffe.)
Mon frère, eh ! levez-vous, de grâce !
(A son fils.)
Infâme !
DAMIS.
Il peut...
ORGON.
Tais-toi.
DAMIS.
J'enrage ! Quoi ? je passe...
ORGON.
Si tu dis un seul mot, je te romprai les bras.
TARTUFFE.
Mon frère, au nom de Dieu, ne vous emportez pas.
J'aimerois mieux souffrir la peine la plus dure,
Qu'il eût reçu pour moi la moindre égratignure.
ORGON.
(A son fils.)
Ingrat !
TARTUFFE.
Laissez-le en paix. S'il faut, à deux genoux,
Vous demander sa grâce...
ORGON, à Tartuffe.
Hélas ! vous moquez-vous ?
(A son fils.)
Coquin ! vois sa bonté.
DAMIS.
Donc...
ORGON.
Paix.
DAMIS.
Quoi ? je...
ORGON.
Paix, dis-je.
Je sais bien quel motif à l'attaquer t'oblige :
Vous le haïssez tous ; et je vois aujourd'hui
Femme, enfants et valets déchaînés contre lui ;
On met impudemment toute chose en usage,
Pour ôter de chez moi ce dévot personnage.
Mais plus on fait d'effort afin de le bannir,
Plus j'en veux employer à l'y mieux retenir ;
Et je vais me hâter de lui donner ma fille,
Pour confondre l'orgueil de toute ma famille.
DAMIS.
A recevoir sa main on pense l'obliger ?
ORGON.
Oui, traître, et dès ce soir, pour vous faire enrager.
Ah ! je vous brave tous, et vous ferai connaître
Qu'il faut qu'on m'obéisse et que je suis le maître.
Allons, qu'on se rétracte, et qu'à l'instant, fripon,
On se jette à ses pieds pour demander pardon.
DAMIS.
Qui, moi ? de ce coquin, qui, par ses impostures...
ORGON.
Ah ! tu résistes, gueux, et lui dis des injures ?
(A Tartuffe.)
Un bâton ! un bâton ! Ne me retenez pas.
(A son fils.)
Sus, que de ma maison on sorte de ce pas,
Et que d'y revenir on n'ait jamais l'audace.
DAMIS.
Oui, je sortirai ; mais...
ORGON.
Vite quittons la place.
Je te prive, pendard, de ma succession,
Et te donne de plus ma malédiction.