Ce que le Chinois sait le mieux, c'est l'art de s'esquiver.
Vous demandez un renseignement dans la rue à un Chinois, aussitôt il prend la poudre d'escampette. « C'est plus prudent, pense-t-il. Ne pas se mêler des affaires d'autrui. On commence par des renseignements. Ça finit par des coups. »
Peuple que tout met en fuite, et ses petits yeux détalent dans les coins quand vous le regardez en face. Ce doit être extraordinaire à qui retourne là-bas, maintenant, dans les mêmes villes où on reculait d'autour de lui, de voir des visages assurés, qui ne se dérobent pas, souriants, amicaux, ouverts.
Pourtant, les Chinois furent et redeviennent d'excellents soldats.
Vieux, vieux peuple d'enfants qui ne veut savoir le fond de rien.
Le mensonge, à proprement parler, n'existe pas en Chine.
Le mensonge est une création d'esprits excessivement droits, militairement droits, comme l'impudicité est une invention de gens éloignés de la nature.
Le Chinois s'adapte, marchande, calcule, échange.
Il accompagne la vague. Le paysan chinois croit avoir trois cents âmes.
Tout ce qui est tortueux dans la nature lui est une douce caresse.
Il considère la racine comme plus « nature » que le tronc.
S'il trouve une grosse pierre, trouée, crevassée, il la recueille comme son enfant, ou plutôt comme son père et la place sur un socle dans son jardin.
Lorsque vous apercevez à vingt mètres de vous un monument ou une maison, ne vous figurez pas que quelques secondes vous en rapprocheront. Rien n'est droit, d'infinis détours vous conduiront et peut-être perdrez-vous votre chemin, et jamais n'arriverez à ce qui était presque au bout de votre nez.
Cela peut contrarier la marche des « démons » qui ne peuvent que marcher droit, mais surtout parce tout ce qui est droit met le Chinois mal à l'aise et lui donne l'impression pénible du faux.
Peuple à la morale anémique, qu'on dirait souvent pour enfants. Outre un catéchisme laïc portant surtout sur des règles de civilité, et de bonne conduite, de conduite exemplaire, les rites commandaient. Institution singulière, unique. Le rituel, à qui a affaire aux autres, est à bien connaître.
Ainsi, il ne perdra pas la face. Depuis le dernier coolie jusqu'au premier mandarin, il s'agit de ne pas perdre la face, ils y tiennent ; elle, surtout, compte.
Sagesse de bambins, mais ayant sur toutes les autres civilisations des avantages stupéfiants et inattendus et provenant sans doute du sens de l'efficacité que possède le Chinois (il est l'inventeur du jiu-jitsu).
La gracieuseté, la douceur sont, huit cents ans avant Confucius, comme qualités essentielles dans les « livres historiques ».

Henri Michaux, Un barbare en Chine, Coll. Imaginaire, Gallimard