26 – CONTRE LA DOULEUR NOCTURNE

Une névralgie soudaine vous empêche de trouver le sommeil, ou bien c'est un élancement dans la cheville quand ce n'est pas une lancinante angoisse existentielle…
Ou bien encore, c'est un phéchromocytome logé dans les médullo-surrénales qui se rappelle à vous par une céphalée.
C'est l'ariboflavinose, l'hyperlipémie, la diverticulite qui vous asticotent le système nerveux.
Ce peut être tout simplement la dent du fond qui s'est cassée en deux au dîner sur un caillou oublié dans les petits pos extra-fins.
Ce peut être n'importe quoi, mais ça vous fait mal.
Vous avez déjà essayé « Sois sage, ô ma douleur » de Baudelaire mais elle n'a rien voulu entendre, refuse de vous donner la main et de voir « se pencher les défuntes Années sur les balcons du ciel ».
Voici un court poème d'Evariste Parny (1753-1814) qu'il faut lire comme on prend le dernier train, en laissant derrière soi l'obscurité épaisse où s'annule tout mouvement, où bourgeonnent partout, en spirales ronflantes, de tranquilles sommeils qui faneront au petit jour, et peut-être jamais.

À LA NUIT

Toujours le malheureux t'appelle,
Ô nuit favorable aux chagrins !
Viens donc, et porte sur ton aile
L'oubli des perfides humains.
Voile ma douleur solitaire ;
Et, lorsque la main du Sommeil
Fermera ma triste paupière,
Ô dieux ! reculez mon réveil ;
Qu'à pas lents l'aurore s'avance
Pour ouvrir les portes du jour :
Importuns gardez le silence,
Et laissez dormir mon amour.

Evariste PARNY

Notre conseil : plutôt que de demander aux dieux de reculer votre réveil, vous pouvez en retirer la pile alcaline et le mettre dans le tiroir de votre table de nuit.


Notice biobibliographique : Évariste Désiré de Forges de Parny, chevalier, puis vicomte de Parny a été surnommé en son temps le Tibulle français. Il est connu comme poète érotique et fit parfois scandale par ses tableaux licencieux. Il est né le 6 février 1753 à St Paul sur l'île Bourbon (aujourd'hui la Réunion), comme son contemporain Antoine de Bertin. Il est le fils de Paul de Forges de Parny, Chevalier de St Louis, commandant du quartier de St Paul et de Marie Geneviéve de Lanux (fille de Jean Baptiste François de Lanux).Parny appartient à l'une des premières familles de la colonie. À l'âge de neuf ans, on l'envoie en France faire ses études au collège de Rennes. Puis il va à Paris, à l'École militaire, où il passe trois années au milieu d'une société brillante et dissipée. D'un caractère mobile, il est prompt à l'enthousiasme.Sa famille le rappelle alors à l'île Bourbon (1773). Il a vingt ans. Il conçoit pour une jeune fille de l'île une passion d'autant plus propre à nourrir son inspiration poétique qu'elle est contrariée.Désespéré de ne pouvoir épouser celle qu'il aime, il revient en France (1775-1776). Il pratique alors surtout le genre élégiaque, qu'il teinte d'exotisme.En 1778, il publie un recueil de «Poésies érotiques» (1778-1781), peu à peu augmenté, dont la versification est harmonieuse. Sa poésie voluptueuse a parfois des accents mélancoliques qui annoncent le romantisme.En 1785, il part comme aide de camp à Pondichéry.À son retour (1786), il mène une vie facile, un peu abandonnée à la paresse et à la sensualité. Il publie quelques recueils de vers: «Chansons madécasses» (1787); Poésies furtives (1787); Tableaux, La Journée champêtre, Fleurs.À partir de 1795, il occupe divers emplois dans l'administration. Au cours de sa vie, il aura été Gendarme de la Garde du Roi (1772), Capitaine de Dragons au régiment de la Reine (1779), Aide de camp du Vicomte de Souillac (1783), Administrateur du Théatre des Arts (futur Opéra de Paris; 1796), Membre de l'Académie Française (en remplacement de Devaines, décédé; 1803). L'Empereur lui accorde alors une pension.En 1799, il publie un grand poème en dix chants, La Guerre des dieux, qui fait scandale par ses audaces diverses. C'est un témoignage sur les mœurs dissolues du Directoire autant que sur l'impiété philosophique de l'auteur. Par la suite, il poursuit dans cette voie licencieuse et refond son poème sous le nom de La Christianide, histoire travestie du christianisme. (Le gouvernement de la Restauration fera acheter le manuscrit pour le détruire).Le 16 décembre 1802, il épouse Grâce Vally née le 13 octobre 1756 à St André (ile de la Réunion).En 1805 il publie Portefeuille volé; puis en 1807, Les Rosecroix.Le 5 decembre 1814, il meurt dans son appartement de Paris.Dans les manuels littéraires, la fortune posthume de Parny culmine dans son influence capitale sur le jeune Lamartine. Et pourtant il gardera des amateurs jusqu'au XXe siècle; parmi eux Maurice Ravel qui, en 1925-1926, composera sur les Chansons madécasses (1787) de Parny; la première d'entre elles, chant de guerre anticolonialiste, gardera encore assez d'actualité pour déclencher une certaine émotion lors de la première audition.