À MON LECTEUR CHÉRI

(Avant-propos)

Ce livre que tu tiens entre les mains – bientôt d'une seule, j'espère ! – est paru fin 2002. Il est épuisé depuis le printemps 2007 après deux éditions successives. Pénurie fâcheuse et à la fois providentielle : depuis longtemps j'avais envie de retravailler mon second recueil de textes érotiques, selon l'adage bien connu :

Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ;
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

Car dans son « Art poétique » (1674), le cher Boileau avait déjà tout pigé sous sa perruque : si l'inspiration est la sève d'un ouvrage, le labeur de l'auteur est son levain.

J'ai donc bossé depuis un an, ajoutant ici, retranchant (beaucoup) là, chassant sans pitié le pompeux barbarisme et l'orgueilleux solécisme. Mais trêve de littérature ! Pour te présenter cette troisième édition de CHARME ET SPLENDEUR DES PLANTES D'INTÉRIEUR, version revue, complétée, actualisée et j'espère améliorée je voulais en fait débuter par une préface bien membrée. En préambule, cette remarque : si, depuis l'hyperprésidence bling-bling, bon nombre de produits de première nécessité ont flambé – le lait, les nouilles, le poisson, le gaz, l'essence, le tabac, les timbres, les loyers, les péages, les médicaments, les franchises médicales, les taxes, la TVA, l'écopastille, les céréales, la baguette parisienne, la Rolex Daytona etc. ; si l'on assiste à une recrudescence sournoise des MST, du H5N1, du chikungunya, des baculovirus, du sarcome de Kaposi, du bacille de Sarkozy… mon petit bouquin, lui, se porte comme un charme et n'a pas pris un centime en cinq ans. Un double exploit, non ? Mais soyons modeste, gardons la bite froide et pour en revenir illico à mon avant-propos, je souhaite qu'il ne soit pas intello, encore moins lyrique, mais essentiellement arithmétique. Je te vois d'ici froncer le sourcil. Pas bandantes les maths ? C'est à voir. Donc, d'abord quelques chiffres, cher lecteur, avant d'entrer avec toi dans le vif du sujet, si je puis me permettre.Il se trouve que depuis quelque temps, j'adore les chiffres, les chiffres mirobolants s'entend, dantesques, exponentiels (comme jadis quand la réclame des superproductions bibliques annonçait des prouesses sur écran géant, Pinavision 70 mm et son stéréophonique). Aujourd'hui, avec les figurants virtuels et le carton-pâte de synthèse, le charme est rompu, je n'y crois plus, je ne crois même plus à Prad Bitt à poil sous sa jupette lorsqu'il guerroie à Troie. « Peuh ! comme dit ma concierge, ce n'est plus la vraie Grèce antique, juste un faux Grec en toc. ». Bref, trêve de cinéphilie, mes chiffres à moi ne mentent pas. Rien à voir avec l'intox, ils s'appuient sur le réel. Constat scientifique. Rigueur statistique. Objectivité mathématique. Donc, pour en revenir aux Carremouth et autres hyper honnis, ce qui m'intéresse, ce n'est pas de capturer 100 ou 100.000 lecteurs en sus, c'est de trucider ces milliards de bébêtes qui peuplent le mâle désir, de les sacrifier sur l'autel de la concupiscence comme le torero vainqueur offre à la foule en transes la queue du mastodonte. Tu commences à piger ? Tu dresses l'oreille ? Oh ! oui, mon souriceau, dresse tes menues esgourdes, tends-moi ton lobe velouté afin que je le gobe, agace gentiment mes papilles voraces et… non, ne me tends rien, amigo, ni tes oreilles ni le reste, tu vas me troubler dans ma démonstration.

Nous disions donc… Mais d'abord ce constat, le soubassement métazhyzique de ma démonstration : tu sais que la nature – mettons une majuscule car elle est immense et prégnante – la Nature, dis-je, est prolixe, prolifique, grande gaspilleuse. C'est sa fonction, son fonctionnement, son essence explosive. Quoi qu'en dise le christianisme qui prétend au contraire que mère Nature n'est pas cette bonne fille généreuse mais une sèche marâtre, acariâtre, papolâtre, vestale du Feu sacré économisant jusqu'au dernier tison. Le maître mot à Rome : croissez et multipliez-vous ad majorem gloriam Dei. Procréez sans répit mais sans dilapider. Une seule alternative : Saint Ogino en guise de modérateur ou l'abstinence. Point barre. Ni condom ni licence. Niet ! Et c'est ainsi que fleurissent des milliards de bébés, futures bouches à nourrir et destinées fauchées. C'est étonnant tout de même qu'on puisse se tromper avec tant de persévérance et tant d'intransigeance ! Et ce n'est certes pas en mettant le préservatif à l'Index que ça peut marcher ! Pas étonnant que la vengeance de Sida le Diable continue ses ravages. Passons. (Mais ça m'a fait du bien de gueuler une fois encore pour rétablir la vérité toute nue.)

Je reviens à ma démonstration, aux chiffres étourdissants précédemment annoncés en m'appuyant sur cette simple observation : sais-tu, ami branleur, que la moindre de tes mollesses – je parle ici d'une caresse pépère, sans fantasme excessif, le petit truc sympa en guise de somnifère, juste deux ou trois gouttelettes, pas le moindre geyser -, donc le plus humble de tes éjaculats volontaires représente, le sais-tu, un potentiel énorme, un gaspillage éhonté, un génocide planétaire que Benedetto - avant lui, Subito santo - condamnent avec la plus grande fermeté et pourfendent en leurs bulles, parlant doctement d'infâme habitude, d'excrétion illicite, d'humiliation de la Nature, d'universel péché et autres joyeusetés, bref, chacune de tes babouineries solitaires zigouille 300.000.000 de spermatozoïdes (grosso modo la population de l'Europe de l'Ouest). Il y a de quoi s'émouvoir : vingt émissions, c'est la population du globe ! Eh bien moi, qui adore la Nature, je prétends la célébrer, amplifier sa prodigalité, la magnifier glorieusement par ma modeste prose.

(…)

Extrait de Charme et splendeur des plantes d'intérieur, Gap, 2008 (parution imminente)