Loïc,

Tu es parti en fumée rejoindre Ieschoua ton amour au paradis. J'en pleure de rage, je hurle : c'est plus possible, arrêtez le massacre, permettons à tous les Loïc de quitter heureux leurs rêves sacerdotaux !

Tu as eu une chance inouïe, toi, celle de rester bloqué dans les starting-blocks du sous-diaconat. T'as vraiment manqué l'occasion de leur tirer ta révérence et d'aller vagabonder sous d'autres cieux avec notre Ieschoua d'Amour.

Ah ! si j'avais eu ce blocage sulpicianiste ! ça m'aurait évité une belle galère. J'ai été enfermé moi-aussi pendant cinq ans à « Issy-les-Moulins », une vraie vie de taulard. Fallait bien survivre ! Alors j'ai été le pitre de service. Ça faisait bien rigoler les autres, mais pas nos matons. Moi aussi j'ai eu droit à l'avertissement : blocage au sous-diaconat. Comme je voulais sortir de la taule, j'ai fait semblant d'être sage et j'ai pu passer à la fournée suivante. C'était pas si difficile de les berner ! Eh bien là, j'ai vraiment été le roi des cons. J'aurais dû me lâcher encore plus dans mes clowneries. Ils m'auraient indiqué la porte de sortie et j'aurais été libre comme l'air pour vivre avec Ieschoua ma vie d'homme.

Il m'a fallu devenir « ministre du culte ». Ministre, c'est pas de la merde, ça ? J'aurais dû comprendre que c'était pas fait pour moi et rester avec la multitude au bas de l'échelle. Je faisais partie de ces privilégiés, les élus comme ils disent, qui seuls peuvent dire la « parole de Dieu » et distribuer la « grâce de Dieu » qui sauve le monde. Mais c'est n'importe quoi ! Quel être humain peut prétendre connaître et répéter un seul mot du Dieu Inconnu et Inaccessible ? Quel être humain peut prétendre détenir le pouvoir du Dieu Inconnu et Inaccessible et le répandre par les sacrements ? C'est se moquer de Dieu et des hommes, c'est de l'escroquerie, le plus gros mensonge que l'homme ait jamais proféré. Mais plus c'est gros, plus ça marche ! Le mensonge de base est d'affirmer que l'homme a été fait à l'image de Dieu avec pouvoir sur la création. La réalité c'est l'inverse : l'homme a fait Dieu à son image, c'est-à-dire pas terrible, et si Dieu il y a, il reste à inventer.

Aujourd'hui, je suis agnostique, il y a tant de choses que l'homme ignore et ne pourra jamais savoir. Que l'homme se situe à sa vraie place dans le monde, et tout ira mieux. Mais je n'y crois pas, l'homme dénaturé vit à côté de ses pompes, incapable de respecter la nature, incapable de vivre ensemble, marionnette dont les ficelles sont tirées par les magouilleurs du profit, les spéculateurs fous, les tyrans de tout poil assoiffés de pouvoir.

En fait, je suis agnostique croyant. Je donne ma foi à un Dieu inconnu et inaccessible qui n'a rien à voir avec les dieux que les hommes ont construit à leur image… car « comment vivre sans Inconnu devant soi ? » (René Char). Je n'attends rien de Lui, surtout pas qu'Il se penche sur moi avec compassion. Je L'aime pour rien. Simplement parce que je suis vivant et que le monde existe, et que je peux me dire qu'Il en est l'origine. Est-il utile ? Non ! Mais je reçois tout ce qui existe comme un don et j'en rends grâce chaque matin quand je me lève.

Si nos chers Sulpiciens avaient pu me foutre à la porte, je les aurais alors maudits ; mais aujourd'hui, j'irais leur faire la bise. Si j'avais pu comprendre à cette époque que la pire chose qui peut arriver à un homme, c'est d'être prêtre, c'est d'accepter de jouer pour la masse des brebis ce rôle de bon pasteur qui prétend savoir ce que Dieu a à dire à chacun, qui prétend posséder cette force divine qui va sauver tous les hommes. Non, non, Loïc, y a pas pire, crois-moi, et toi tu as eu la chance d'échapper à cette catastrophe. Comme toi, j'avais mon enfance chevillée au corps. Pas question de renoncer à ce rêve d'enfant, pas question de trahir l'enfant que j'ai été. J'ai donc été jusqu'au bout et j'ai bu le calice jusqu'à la lie.

Mai 68, "Echange et Dialogue", j'ai combattu, croyant pouvoir changer le système, refusant de m'incliner devant le dictat épiscopal (« Je vous interdis de participer à ce mouvement. »). Au prêtre-éducateur dans un foyer de semi-liberté (drôle de dénomination !), l'évêque a dit : tu n'as pas le droit de décider par toi-même. Finalement, on n'a rien pu faire pour m'en empêcher. Prêtre-marié ensuite : alors là, plus question ! « Tu disparais en silence. » Tu n'as pas su obéir comme un cadavre, alors désormais tu es mort pour nous, et les morts ferment leur gueule. Tu n'existes plus. Voilà l'amour à la sauce hiérarchique catholique ! Et puis ils m'ont donné un bon conseil : puisque tu te maries avec une divorcée d'un mariage catho, pas question pour toi d'un mariage à l'église. On te demande donc de ne pas faire ta réduction à l'état laïc. J'en avais rien à faire de leur procédure, mais lorsque j'ai fini par accepter, quel soulagement pour eux : un dossier de moins à envoyer à Rome ! En fait, ils ne respectaient même pas leur propre règlement. Quant à moi, je devenais un mort vivant pour l'Eglise, excommunié jusqu'à la fin de mes jours, c'est-à-dire… enfin libre ! Mais comme ça ne leur suffisait pas, un abbé d'un monastère connu en a rajouté une dose pour ma mère et pour ma famille : « ta famille, disait-il, ne doit jamais approuver ta trahison, ton défroquage, et donc ne jamais te recevoir publiquement avec ta femme et tes enfants. » Certes j'étais heureux d'être libre, mais comment vivre avec une mère crucifiée par la soi-disant trahison de son fils ? Comme continuer de vivre avec une famille qui te condamne comme le pire des criminels ? Vingt-cinq ans après cette libération, à l'enterrement de ma propre mère, je n'ai toujours pas pu assister à la messe car j'étais toujours à leurs yeux un scandale, un traître à Dieu !

Avoir quitté la fonction sacerdotale, ça, c'est chouette, une vraie libération… mais le prix à payer, quel gâchis ! Une mère qui continue à t'aimer tout en étant culpabilisée de le faire, en étant crucifiée, c'est trop cruel. Le rejet de mes frères et sœurs, c'est pas drôle, ça fait mal, on peut faire avec car des frères et sœurs, on peut s'en donner, mais pas une mère !Loïc, ta flambée devant Notre-Dame, ça, ce n'est pas possible ! T'avais qu'à saisir l'occasion de ton blocage au sous-diaconat, t'ouvrir à l'Amour de ton Ieschoua terrestre : ton écrivain privé ! Je suis sûr que c'est ce qu'Il t'a dit ton Ieschoua du Paradis. Ton écrivain privé il avait bien su, lui, se libérer de la fonction sacerdotale et vivre l'amour humain, l'amour entre hommes. Il avait tout compris du message de Ieschoua, notre Amour. Il t'avait fait un beau cadeau à Noël. Pourquoi n'avoir pas pu l'accepter ?

T'étais bien trop fragile. T'étais trop accroché à l'enfance. Et puis, cette saloperie d'Antonina… Il t'a massacré. Tu pourrais jamais plus après ça désirer vivre d'amour avec ton Ieschoua terrestre, c'était devenu sale, épouvantable, destructeur. À cause de cet Antonina, t'as loupé la plus belle aventure humaine, la seule qui nous est donnée de vivre. Tu sais, Loïc, avec Marie-Edith, nos cinq enfants et autant de petits-enfants, dans un petit village du Mâconnais, c'est chouette la vie ! Pas tous les jours facile, mais chouette. Surtout depuis que je ne me tourmente plus avec cette Eglise à la con et ses dogmes ridicules. Je me contente d'une amitié avec un homme, ce Jésus de Nazareth, un sacré Sage ! Il nous apprend à nous libérer de tous les systèmes – religieux ou autres – et à vivre à fond notre amour humain. C'est simple et lumineux, pas casse-tête pour un sou. Pas besoin d'en faire une personne de la Trinité Divine, un Sauveur de l'humanité. S'il y en avait un, on s'en serait aperçu depuis 2000 ans ! Jésus, un ami qui partage simplement l'humanisme évangélique. Pas le Christ, pas le Sauveur, pas Dieu. Faut laisser ça à Pierre, à Paul, à Benoît et à toute la clique.

Bon, il faut que je m'arrête, une copine vient d'arriver pour me parler élection au Conseil Général. Moi, j'ai pas Michel comme écrivain privé. Tout ce que j'ai écrit, c'est sorti d'un coup, d'un seul trait de plume. Je ne relirai pas et tant pis pour l'orthographe ! Toi, t'es parti, Loïc, aussi j'adresse ces mots à Michel, lui il comprendra.

Bien amicalement à toi, Loïc et à tous les Loïc d'aujourd'hui écrasés de désespoir ; à Michel et à tous les libérés en les souhaitant heureux de ce qu'ils peuvent vivre aujourd'hui, à Ieschoua notre Amour, notre ami qui n'a pas besoin d'églises pour partager l'amitié.


Dominique,

un libéré du bagne sacerdotal.