« Nous sommes dedans – au cœur de l'être, au cœur du mystère. Spiritualité de l'immanence : tout est là, et c'est ce qu'on appelle l'univers. (…)

Mais nous faisons l'expérience aussi, et d'abord, et surtout, de l'immanence et de l'immensité – ce que j'appellerais volontiers, à la façon du poète Jules Laforgue, l'immanensité. Nous sommes dans le Tout et celui-ci, fini ou pas, nous excède de toutes parts : ses limites, s'il y en a, sont pour nous définitivement hors d'atteinte. Il nous enveloppe. Il nous contient. Il nous dépasse. Une transcendance ? non pas, puisque nous sommes dedans. Mais une immanence inépuisable, infinie, aux limites à la fois incertaines et inaccessibles. Nous sommes en elle : l'immensité nous porte ; nous habitons « le tout lointain ».

C'est ce que chacun peut ressentir, la nuit, en regardant les étoiles. Il n'y faut qu'un peu d'attention et de silence. Il suffit que la nuit soit noire et claire, qu'on soit à la campagne plutôt qu'à la ville, qu'on éteigne les lumières, qu'on lève la tête, qu'on prenne le temps de regarder, de contempler, de se taire… L'obscurité qui nous sépare du plus proche, nous ouvre au plus lointain. On n'y voit pas à cent pas. On voit, même à l'œil nu, à des milliards de kilomètres. Cette traînée blanchâtre ou opalescente ? La voie lactée, notre galaxie, celle du moins dont nous faisons partie : quelques cent milliards d'étoiles, dont la plus proche, notre soleil excepté, est à trente milliards de kilomètres…Cette tache lumineuse presque imperceptible, là-bas, près du carré de Pégase ? La lumineuse d'Andromède, une autre galaxie (il en existe des milliards,chacune composées de milliards d'étoiles), qui se trouvent à deux millions d'années lumière, soit quelque vingt milliards de milliards de kilomètres ! La nuit, tout change d'échelle. Le soleil, tant qu'il brillait, nous faisait comme une prison de lumière, qui est le monde – notre monde. Voila que l'obscurité, lorsqu'il fait beau, nous ouvre à la lumière du ciel, qui est l'univers. C'est à peine si je devine le sol sur lequel je marche. Mais je perçois, mieux qu'en plein jour, l'inaccessible qui me contient.

André COMTE-SPONVILLE, L'esprit de l'athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, 2006