24 – CONTRE LES RHUMATISMES

Si à soixante ans, vous vous réveillez le matin sans ressentir aucune douleur, c'est que vous êtes mort !
Cette boutade souligne la survenue, vers ce que Rabelais nommait « l'âge climatérique », de rhumatismes divers, ceux qui ramènent au foyer le mari volage afin que l'épouse fidèle, usant de baumes et d'onguents, effectue des massages sur les parties du corps qui souffrent d'élancements, d'anciens baisers brûlants.
Les femmes aussi souffrent de rhumatismes, mais la plupart du temps, ce sont elles qui s'appliquent les pommades antalgiques, le mari considérant que, des caresses apaisantes, en d'autres temps, il épuisa le contingent.
En grec, « rhumatisme » signifie « écoulement de l'humeur ». C'est le premier signe de l'irréversible, le début d'une préoccupation du corps, dans laquelle l'esprit n'a plus à intervenir : relâcher sur l'océan du temps, une à une, les ultimes illusions de la jeunesse, afin qu'elles s'agglomèrent loin, quelque part, et qu'elles masquent à une âme nouvelle, les brutales réalités du monde.
Mais foin de lyrisme pessimiste ! Si vous souffrez de rhumatismes, ne vous laissez pas aller à une vision gaullienne des choses (« la vieille est une succession de dernières fois » affirmait le Général de Gaulle – si bien que, suivant sa logique, on peu déclarer que le nourrisson qui abandonne les langes puis le biberon est déjà un petit vieux).
Suivez plutôt l'optimisme d'Etienne de La Boétie, grand copain de Montaigne (« Si on me presse de dire poirquoy je l'aymois, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en respondant : Par ce que c'estoit luy ; par ce que c'estoit moy. » Ça y est ? Vous les remettez ?)
Etienne de La Boétie souffre de douleurs rhumatismales et, loin de se mettre à geindre ou à réclamer du baume Alpigan ou du Percutalgine, il écrit un sonnet. Il y parle de ses douleurs, et dit que, oui, bien sûr, ça lui fait mal, mais que ce n'est pas trop grave, parce que, de toute façon, ça ne va pas forcément durer cent sept ans et qu'il sera bien content quand ce sera fini. Voilà un exemple à suivre et un sonnet à méditer dès le réveil, à partir de soixante ans.

SONNET

C'était alors, quand, les chaleurs passées,
Le sale Automne aux cuves va foulant
Le raisin gras dessous le pied coulant,
Que mes douleurs furent commencées.

Le paysan bat ses gerbes amassées,
Et au caveau ses bouillants muids roulant
Et des fruitiers son automne croulant,
Se venge lors des peines avancées.

Serait-ce point un présage donné
Que mon espoir est déjà moissonné ?
Non, certes, non : mais pour certain je pense

J'aurai, si bien à deviner j'entends,
Si l'on peut rien pronostiquer du temps
Quelque grand fruit de ma longue espérance.

Etienne de La Boétie

Notre conseil : si vous êtes perclus de maux articulaires, lisez, en plus de ce sonnet, les Essais de l'alter ego, Montaigne, trois mille pages écrites petit. En général on comprend sa douleur, et ainsi, on souffre plus lucidement.