Deux amies, actrices dans un pays de l'Est. L'une s'en va en Occident, y devient riche et célèbre, l'autre reste là-bas, inconnue et pauvre. Un demi-siècle après, celle-ci en voyage rend visite à sa camarade chanceuse. « Elle était d'une tête plus grande que moi, et maintenant elle est rabougrie et paralysée. » Suivent d'autres détails puis elle me dit en conclusion : « Je n'ai pas peur de la mort, j'ai peur de la mort dans la vie. »
Rien de tel pour camoufler une revanche tardive que le recours à la réflexion philosophique.

Sarvam anityam = tout est transitoire (le Bouddha). Formule qu'on devrait se répéter à toute heure de la journée, au risque – admirable – d'en crever.

Pour désarmer les envieux, nous devrions sortir dans la rue avec des béquilles. Il n'est guère que le spectacle de notre déchéance qui humanise quelque peu nos amis et nos ennemis.

Kandinsky soutient que le jaune est la couleur de la vie.
… On saisit maintenant pourquoi cette couleur fait si mal aux yeux.

Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j'ai renoncé à faire ma toilette : à quoi bon se laver encore ?

Ces enfants que je n'ai pas voulus, s'ils savaient le bonheur qu'ils me doivent !

Je disais l'autre jour à un ami que, tout en ne croyant plus à l'écriture, je ne voudrais pas y renoncer, que travailler était une illusion défendable et qu'après avoir gribouillé une page ou seulement une phrase, j'avais toujours envie de siffler.

Les religions, comme les idéologies qui en ont hérité les vices, se réduisent à des croisades contre l'humour.

Nous ne devrions déranger nos amis que pour notre enterrement. Et encore !

A Saint-Séverin, en écoutant à l'orgue, L'Art de la Fugue, je me disais et redisais : « Voilà la réfutation de tous mes anathèmes. »


Cioran, Aveux et anathèmes, ŒUVRES, Quarto, Gallimard, 1995