Interview de Richard chartier • chartier@rgmag.com

Michel Bellin est un écrivain prolifique. En effet, cet amoureux de la littérature (voir son site Internet : www.michel-bellin.fr) ne cesse d'écrire et d'écrire pour notre plus grand bonheur. Sa dernière création : « Ieschoua, mon amour » (éd. Gap, 175 p.) un excellent roman.
Entrevue avec celui qui nous étonnera toujours…

RC — Votre dernier roman, « Ieschoua mon amour », raconte l'histoire de Loïc, un jeune homme qui désire ardemment devenir prêtre. Cependant, il éprouve de la difficulté à accéder au sacerdoce. Il décide de livrer son histoire à un écrivain, un prêtre sécularisé. On découvre que Loïc adore « Ieschoua », il fera tout pour lui, affirme-t-il avec insistance. Cet amour pour le Fils de l'Homme a-t-il un rapport avec son « penchant » pour les hommes?

MB — Certainement pas! En fait, cette expression « Fils de l'Homme » était l'expression favorite d'Ieschoua pour se désigner d'une manière qui intrigue, qui déconcerte. En parlant ainsi, Jésus amenait ses interlocuteurs à s'interroger : porter ce nom, c'était s'affirmer comme Homme authentique et en même temps laisser entrevoir quelque chose de son lien particulier avec Dieu, qu'il nomme « Père ». C'est cela qui intrigue aussi Loïc, qui le fascine : cette plénitude d'humanité qui « colle » avec celle d'un Dieu qu'il faudrait oser appeler « papa ». Et Loïc, ce gosse de 29 ans, ose, parce qu'il est orphelin lui-même, qu'il est perdu, qu'on le dénigre sans arrêt. À la fin du livre, dans la belle prière qu'il a inventée tout seul, avec des rimes bien maladroites, il aime à conclure ainsi, de manière à la fois touchante et théologiquement très pertinente : « … t'es heureux, petit Loïc, même si tu es orphelin, ton petit papa du ciel va t'adopter demain! » Donc rien à voir avec l'homophilie! Et tout à voir avec la tendresse, la confiance, la poésie, une forme de séduction virile aussi malgré tout… c'est pourquoi les lecteurs, pas du tout religieux, ni même croyants, ne sont pas gênés par ce livre parce que, je crois, le personnage de Loïc si fervent, si fou d'amour, si impertinent, les fait vibrer et palpiter à leur tour; c'est la religion du cœur, la seule.

RC — Certains vous reprocheront de vouloir toujours dénigrer l'Église catholique dans vos écrits. Cependant dans ce roman la critique est plutôt ténue, on sent que l'intérêt partagé entre Loïc et l'écrivain pour « Ieschoua » est sincère et véritable. C'est plutôt les positions de l'Église sur l'homosexualité, son hypocrisie face à la sexualité qui vous scandalise davantage?

MB — Oui, c'est surtout cela, l'intolérance des clercs, leur dogmatisme, leur certitude, cette manie d'avoir raison en tout et pour tous, et de faire la leçon au nom du Christ ! Le mépris aussi de l'Église catholique pour le corps et la sexualité. Imagine-t-on un instant Ieschoua rejeter un pédé alors qu'il se laissait caresser et parfumer les pieds par une pute, qu'il touchait les lépreux dévorés d'ulcères putrides et ouvrait si souvent les bras aux bébés et aux petits enfants qui, à l'époque, étaient des moins que rien! J'ajoute que, dans le roman, il y a un prêtre sympathique parce qu'il est humain, a de l'humour, sait savourer les joies de l'alpinisme. Et Loïc, qui voit tout avec les yeux du cœur, conclut : « Au moins, lui, c'est un bon prêtre parce que c'est un homme bon. » Donc, tout n'est pas encore perdu dans le bastion de Benoît XVI!

RC — La fin du récit est troublante. Vous croyez que de fervents croyants catholiques comme Loïc peuvent aller jusque-là?

MB — Je n'approuve pas le choix de Loïc, mais pouvait-il faire autrement? Il est tellement exalté et tellement malheureux! Il n'a pas assez cru peut-être à l'amour de son écrivain privé qui, il est vrai, a commis un soir d'ébriété une grosse maladresse à son égard… Des saints – surtout des saintes – se sont livrés à des extrémités mystiques aberrantes très proches du sadomasochisme. Rien à voir ici : Loïc certes veut attirer l'attention sur sa détresse, sur l'inhumanité de l'Église officielle, sur son homophobie criminelle – comme le jeune poète sicilien Alfredo Ormando à qui ce livre est dédié. En ce sens, mon livre est tout sauf un livre pieux, c'est un roman politique, donc engagé et sulfureux, une forme de résistance contre tout ce qui asservit l'homme dit civilisé… et les jeunes plus vulnérables. Pas seulement l'hyper médiatisation ou les institutions, mais la bêtise, le fric, la vulgarité, le sexisme, le « politiquement correct »… Or, la foi de Loïc est à des années-lumière de cet univers impitoyable… « L'amour pur, c'est mon rêve! » s'écrie-t-il un jour. C'est une utopie bien dangereuse… bien inconfortable dont les croyants n'ont pas le monopole évidemment, même s'ils devraient être, à mon avis, des leaders enthousiastes!

RC — Pourquoi avez-vous décidé de publier et de distribuer vous-même votre livre?

MB — J'ai de moins en moins confiance aux éditeurs même si deux « petits » éditeurs — H&O et Alna, pour ne pas les nommer — m'ont donné plusieurs fois ma chance, et je tiens à les en remercier ici. Loïc, c'est mon 11e enfant, le plus beau, le plus hors normes, le plus fragile. J'ai voulu le faire tout seul, comme un papa célibataire, l'habiller avec mes propres couleurs, le présenter aux amis – non pas dans des foires ou des salons du livre –, mais dans des cercles intimes, au corps à cœur. Comme un secret qu'on échange au coin du feu ou une ritournelle qu'on fredonne amoureusement. D'ailleurs, au début, je guettais ma boîte aux lettres espérant une réponse… négative des Grands Éditeurs Prescripteurs! J'en ai vite tiré la conclusion que ce manuscrit singulier ne serait pas pour eux, même si je n'ai qu'une poignée de lectrices et de lecteurs. Mais j'ai bon espoir, c'est une histoire de connivence, de feeling.