AU NIRVANA

Au jour J des Coupes du monde, les All Blacks trébuchent toujours. Dramatiquement pour eux, leur rugby plaisant et poli trouve alors son maître : les Boks de 95, rudes et sauvages, les firent douter ; en 99, les Coqs aux crêtes tostéronées, moitié fous et totalement furieux, les firent déjouer.

Les Coqs qui, justement, n'ont jamais cueilli l'étoile : l'eau de Durban en 1995 leur coupa les pattes ; la pluie de 2003, à Sydney, leur colla les neurones. A l'heure du soir qui tombe sur le quart de finale, les Français semblaient décidés à toutes les impolitesses, seule morale à leurs yeux susceptible de transformer leur équipe en saigneurs rebelles, en conquérants de l'impossible. Pour battre les rois noirs sans couronne, il faudrait donc les troubler à cœur de gourdin. A l'heure du haka – beaucoup plus qu'un simulacre d'intimidation – les deux équipes, les yeux dans les yeux, étaient face à leur destin. La première mi-temps ne fut que pitié. Pitié de pieds tordus, de chandelles laides, de diagonales fétides. Les Français, sans foi au jeu de passes, respectaient pourtant avec conscience la sempiternelle loi d'occupation du terrain adverse et celle de la défense sacrificielle pour piller les nids des Kiwis.

Les All Blacks jouèrent cinq petites minutes, le temps donné à McAlister pour déchirer deux fois la ligne bleue et à Dan Carter, indigent, le temps d'engranger ces 13 points qu'on craignait suffisants. Dès la reprise, les AllBlacks, à 14, se mirent à souffrir les mille morts. Dusautoir les poinçonna en hurlant, créant alors le plus hallucinant des espoirs ! Par un jeu de pilonnage apeuré et miséreux, les All Blacks reprennent pourtant l'avantage. Michalak, juste rentré, prend le flambeau de l'offensive. Traille, qui n'avait été qu'une grande sentinelle, s'engouffre dans le plus beau côté fermé du Millenium, et Jauzion, en planche, crucifie les All Blacks désossés. La défense du XV de France encore en feu, devenue nourricière, tord et broie les petits Gris. Pâles, ces All Blacks, bientôt exsangues, débordés, anéantis par le fantôme vampirisant de 99 ressurgi à l'aube de cette seconde mi-temps. Tout autant que le courage viscéral et technicisé de nos Bleus, c'est ce fantôme qui a envoyé encore une fois les All Blacks en enfer et les Bleus au nirvana.


Daniel Herrero


Article paru dans Le Journal du Dimanche du 7 octobre 2007, page 2, « L'événement »