9 – CONTRE LA GRIPPE

Cela commence par des frissons qui plantent finement en votre épine dorsale leurs hameçons. Par mille points précis, quelque part on vous ferre, on vous pêche… et vous voilà au lit.
Vient-on vous voir ? Fort peu car vous êtes contagieux. Quelque bouillon, quelque potion sont disposés au bout des doigts par qui vous serrait, vous pressait, vous gardait contre soi la nuit entière : « Reste, reste, ne bouge pas, j'ai froid ! j'ai besoin de toi. »
Mais alors ! La beauté qui s'apeure ne vous avait donc pris que pour un radiateur ? Vous voilà surpris. Cette femme, amante et presque mère, vous voyant allongé et sans force, laisse passer un inquiétant dégoût.
Pourtant, la fièvre est là, qui siège pour trois jours. Vos bras, vos jambes, vos orteils, vos doigts, et tout ce qui bouge, sans commande parfois, est devenu flanelle.
Votre front est pâle, et les moiteurs qui l'ont envahi auraient besoin d'être rafraîchies. Vous avez l'impression que votre cœur devient transparent.
Profitez alors d'un pic de fièvre pour simuler un délire. Vous aurez, dès le début de l'automne, au lieu de vous faire vacciner, appris par cœur le poème de Verlaine « Mon rêve familier », efficace pour toute affection.
Récitez-le bien fort. Normalement, la porte devrait s'ouvrir sans bruit sur une forme hésitante, bouleversée, légèrement piquée de jalousie, qui viendra s'asseoir sur le bord du lit, pleurant tout doucement, en rafraichissant les moiteurs de votre front blême, ce qui est essentiel.
Vous l'entendrez alors vous dire : « Mais, cette femme, c'est moi, tu ne me reconnais pas ? » Différez votre réponse afin que, pour longtemps, le doute plane. Il est parfois si bon d'avoir été malade.

MON RÊVE FAMILIER

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.


Paul VERLAINE

Notre conseil : vérifiez, quand même discrètement, qui vient d'entrer lorsque vous récitez « Mon rêve familier », l'infirmière rôde dans les parages !

Conseil (bis) de Bellinus : dans le cas d'une union à caractère homosexuel (quelle horrrrrrrrreur !), il est facile de transformer légèrement le poème. Bien veiller toutefois à garder les 12 pieds de chaque rime, ce qui oblige à quelques infimes variantes que l'ami Paul (en souvenir d'Arthur) nous pardonnera bien volontiers !<br />

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'un jeune homme inconnu, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait le même
Ni tout à fait un autre, et m'aime et me comprend.

Car il me comprend, et mon cœur, transparent
Pour lui seul, hélas ! cesse d'être un problème
Pour lui seul, et les moiteurs de mon front blême,
Lui seul il les sait rafraîchir, tout en pleurant.

Est-il brun, blond, auburn ou rouquin ? – Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, il a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.



Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001