LE MIDI DU PEINTRE
Par Michel Bellin le lundi 29 octobre 2007, 09:41 - Lien permanent
Lundi de grisaille et de pluie à Paris. Quelques bribes de correspondance à lire… puis à oublier. Ami(e), ferme les yeux et imagine, juste par la force de ton mental, imagine les couleurs, les odeurs, cette provision miraculeuse de rose et de bleu. Seulement pour attendre le printemps, sitôt réglée l'heure d'hiver, seulement pour rêver de mimosas et d'orangers se détachant sur la mer bleue.
Lettres de Claude Monet (extraits)
Bordighera, 26 janvier 1884
(lettre à Alice Hoschedé)
(…) Aujourd'hui, j'ai encore plus travaillé : cinq toiles, et demain, je compte en commencer une sixième. Ça marche donc assez bien, quoique ce soit bien difficile à faire : ces palmiers me font damner ; et puis les motifs sont extrêmement difficiles à prendre, à mettre dans la toile ; c'est tellement touffu partout ; c'est délicieux à voir. On peut se promener indéfiniment sous les palmiers, les orangers et les citronniers, et aussi sous les admirables oliviers, mais quand on cherche les motifs, c'est très difficile. Je voudrais faire des orangers et des citronniers se détachant sur la mer bleue, je ne puis arriver à les trouver, comme je veux.Quant au bleu de la mer et du ciel, c'est impossible.
Bordighera, 2 février 1884
Mon cher Duret,
Je n'ai pu aller vous serrer la main avant mon départ, m'étant subitement décidé.
Je suis installé dans un pays féerique. Je ne sais où donner de la tête, tout est superbe et je voudrais tout faire : aussi j'use et gâche beaucoup de couleurs, car il y a des essais à faire. C'est toute une étude nouvelle pour moi que ce pays et je commence seulement à m'y reconnaître et à savoir où je vais, ce que je peux faire. C'est terriblement difficile, il faudrait une palette de diamants et de pierreries. Quant au bleu et au rose, il y en a ici.
Enfin, je pioche, je rapporterai des palmiers, des oliviers (c'est admirable, les oliviers), et de là mes bleus (…)
Bordighera, 11 mars 84
Cher Monsieur Durand-Ruel,
(…) Les débuts ont été difficiles et avec cela beaucoup de variations dans le temps : enfin si je me suis donné du mal et si j'ai fait des mauvaises choses, je crois qu'il y en a aussi de bonnes. Cela fera peut-être un peu crier les ennemis du bleu et du rose, mais c'est justement cet éclat, cette lumière féerique que je m'attache à rendre, et ceux qui n'ont pas vu ce pays ou qui l'ont mal vu crieront, j'en suis sûr, à l'invraisemblance, quoique je sois bien au-dessous du ton : tout est gorge-de-pigeon et flamme-de-punch, c'est admirable et chaque jour la campagne est plus belle, et je suis enchanté du pays.