12 – CONTRE L'IMPATIENCE

Vous voulez vous marier, pour la robe, la bague, pour un homme en queue de pie dont vous vous occuperez avec soin dès le soir.
Vous voulez vous marier pour prouver au monde entier que, s'il vous a choisie, c'est que vous êtes belle, même si vous avez les mollets en quenelles, du poil sous les aisselles, et l'acuité visuelle en délicatesse avec la netteté. Pas grave ! Il est à vos côtés.
Vous voulez vous marier parce que vous êtes jeune et que chaque matin, chaque soir, sans savoir si toujours vous en aurez envie, vous voulez avoir droit au déduit.
Ah, ah ! La belle affaire, eussent dit les grands-mères au temps si proche encore où les corps, dans le bref et brutal, traitaient de politique natale.
Aujourd'hui, qu'en est-il ? Après le travail et le stress, il y a si peu de temps pour exalter la fesse.« Qu'importe, je m'en fiche, je veux un mari. Et je veux me montrer à son bras dans les rues. » Justement, savez-vous ce que les gens diront ? Oui, ils diront : « Voyez comme ils ont l'air heureux ! »
Point du tout, oh, là, là ! En eux, dès le matin, l'aspic s'éveille et bricole aux paroles des crochets venimeux. N'approchez pas, on vous mordrait. Car ils diront : « Regardez-les, c'est la cruche et son coquelet, mon Dieu, qu'ils ont l'air niais ! »
« Ce n'est pas vrai, et par les rues j'irai, avec lui à mon bras, nous garerons la voiture, et puis, nous nous mirerons dans les devantures. »
C'est l'image qui vous fascine, votre vie s'écoulera dans le reflet de quelque page de mode ; à vos côtés, le marié s'étiolera, ne sera plus sortable.
Un soir où vous aurez compris que l'union, c'est deux âmes, vous penserez de vous : « Je suis une minable ! » Et la mort vous prendra, vous classera bien vite parmi les oubliés, sans passé.Vous voulez vous marier, pour les cadeaux, le festin, la promesse d'un jour à nul autre pareil. Les fleurs, le voile en tulle, les bijoux de vermeil. Et l'entrée triomphale, sous les cloches qui sonnent, les pas dans Mendelssohn.
Allez-y, il est l'heure et vous êtes en retard. Ou bien, attendez, juste une seconde, lisez l'allégorie qui vous parle de l'onde. Chénier la rédigea avant d'entrer en sa prison du Temple. Et puis, on lui coupa la tête, pour l'exemple.
Oui, lisez « La jeune Tarentine ». Le trajet qu'elle fait, allant vers Camarine, est celui de sa vie. C'est son jour le plus beau. Mais elle va mourir. Que faut-il en déduire ? Mariez-vous, vous en avez envie, mais pensez-y quand même : quel que soit le voyage, on vous mène en bateau.

LA JEUNE TARENTINE

Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez.
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine.
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine.
Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement,
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clé vigilante a pour cette journée
Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée
Et l'or dont au festin ses bras seraient parés
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles
L'enveloppe. Etonnée, et loin des matelots,
Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine.
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher
Aux monstres dévorants eut soin de la cacher.
Par ses ordres bientôt les belles Néréides
L'élevèrent au-dessus des demeures humides,
La portent au rivage, et dans ce monument
L'ont, au cap du Zéphir, déposée mollement.
Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes frappant leur sein, et traînant un long deuil,
Répétèrent : « Hélas ! » autour de son cercueil.
Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée.
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée.
L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds.
Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.


André CHENIER


Notre conseil : Votre mari, mamie, a une queue de pie ? Ne vous inquiétez pas si le soir des noces, elle lui tombe sur les chaussettes. Un peu d'amidon, pendant la nuit, et le matin, elle aura fière allure !

Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001