Et d'abord qu'est-ce que l'âme ? Selon Jacques Lacan et mon coiffeur, l'âme est un composé nébulo-gazeux voisin du prout. Sigmund Freud, pour sa part, affirme dans l'édition de 1896 de l'Annuaire des Refoulés que l'âme pèse 21 grammes, ce qui exclut évidemment la restitution de notre âme à Dieu par les PTT avec un timbre normal, même à grande vitesse, toute surcharge au-dessus de 20 grammes étant taxée aux frais du destinataire, c'est-à-dire en l'occurrence le Père, le Fils et le Saint-Esprit, c'est pourquoi, au moment de votre agonie, je vous conseille, mes frères, de vous coller deux timbres à l'âme, afin de faire bonne impression à l'heure cruciale entre toutes de votre comparution devant les pieds nickelés de la Sainte Trinité.

La vivisection de la femme ne nous permet pas de distinguer clairement la présence de l'âme. En effet, si nous ouvrons une femme, que voyons-nous exactement ? Un foie, deux reins, trois raisons d'avoir une âme. Certes, je vois venir l'objection. Vous allez me dire : le ragondin velouté des marais poitevins lui aussi a un foie et deux reins, mais a-t-il une âme pour autant ? Non. Il boit Contrexéville et puis voilà.

En fait, en l'état actuel de nos connaissances, rien ne permet de confirmer la présence d'une âme chez la femme. Pourtant, de même qu'il ne peut pas vivre sans marché noir, l'homme ne peut pas vivre sans femme. Serait-ce une vie normale, pour un homme, que de ne baiser que le fisc, alors que les femmes des percepteurs, exhibant à chaque coin de rue leur arrogant derrière que le rond-de-cuir délaisse, hurlent à l'amour en attendant désespérément la main virile qui viendra leur nationaliser la libido à coup de zigounette dans la fonction publique, avec effet rétroactif et données corrigées des variations saisonnières ?

D'autre part, si l'on examine la femme d'un point de vue purement ludique, que constatons-nous ? Eh bien, nous constatons que la femme est souvent pour l'homme un agréable compagnon de jeux. On cite notamment le cas, reconnu médicalement, de nombreux hommes qui ne peuvent connaître le plaisir sexuel qu'avec des femmes. Comme ce gardien de phare paimpolais, Yvon Le Poignet, qui ne pouvait pas rester plus de six mois d'affilée à son poste. Malgré la conscience professionnelle avec laquelle il astiquait son phare entre deux naufrages, il lui fallait absolument revenir périodiquement à terre pour se livrer, sur la personne de son épouse, à des gesticulations spasmodiques dont la seule évocation me soulève le cœur.

Ainsi, de même qu'il ne peut pas vivre sans oxygène, l'homme ne peut pas vivre sans femme.


Pierre DESPROGES, Vivons heureux en attendant la mort, Seuil, 1983