TYPES CHINOIS

Modeste, et plutôt enfoui, étouffé, dirait-on, des yeux de détective, et aux pieds, des pantoufles de feutre, comme il se doit, et les usant du bout, les mains dans les manches, jésuite, avec une innocence cousue de fil blanc, mais prêt à tout.
Visage de gélatine, et tout à coup la gélatine se démasque et il en sort une précipitation de rat.Avec quelque chose d'ivre et de mou ; une sorte de couenne entre le monde et lui.
Pas jaune, la Chinoise, mais chlorotique, pâle, lunaire.
Au théâtre, les hommes chantent avec des voix de châtrés, accompagnés par un violon qui leur est bien pareil.
Une langue faite de monosyllabes, et les plus courtes, c'est déjà trop.
Modéré, ayant le vin doucement triste, et reposant, et souriant.
Si petits que soient les yeux du Chinois, non nez, ses oreilles et ses mains, son être ne les remplit pas. Il se tapit loin derrière. Non pas par concentration. Non, le Chinois a l'âme concave.
Des gestes vifs, mais pas durs. Rien d'appuyé, de décoratif. Raffolant des pétards, il en jette à tout propos, et leur son bref, sec, sans conséquences et sans résonance lui plaît (comme le bruit des claquettes que leurs femmes ont aux pieds.)
Il aime beaucoup aussi le coassement abrupt de la grenouille.
La lune lui plaît, à laquelle la femme chinoise ressemble étonnamment. Cette clarté discrète, ce contour précis lui parle en frère. D'ailleurs, beaucoup sont sous le signe de la lune. Ils ne font aucun cas du soleil, ce gros vantard, ils aiment beaucoup la lumière artificielle, les lanternes huilées, qui, comme la lune, n'éclairent bien qu'elles-mêmes, et ne projettent aucun rayon brutal.
Des visages étonnamment huilés de sagesse, auprès desquels les Européens ont l'air en tout point excessifs, véritables groins de sangliers.
Aucun type avachi ni d'arriéré mental, les mendiants, d'ailleurs rares, ayant encore l'air fort spirituels et de bonne compagnie, et intellectuels, beaucoup de « fins Parisiens », avec une impression de justesse frêle, comme ont parfois les rejetons des vieilles familles aristocratiques, affaiblies par des mariages consanguins.
Les femmes chinoises d'un corps admirable, d'un jet comme un végétal, jamais l'allure garce comme l'Européenne l'est si facilement, et les vieilles comme les vieux, des têtes si agréables, pas exténuées, mais alertes et éveillées, un corps qui fait toujours son travail, et une tendresse avec leurs enfants qui est un charme.

Henri Michaux, UN BARBARE EN ASIE, collection L'Imaginaire, Gallimard, 1997

Ecrit en 1933, ce livre(ici ou là un peu daté, forcément) fourmille de mille sensations bien vues, bien écrites, très suggestives sur la musique chinoise, l'amour et la sensualité, la conception de la mort (« Un vieillard qui ne sait pas mourir, je l'appelle un vaurien » conclut un philosophe chinois), le goût pour la sagesse raisonnable, pour le travail (« grands travailleurs à de petites besognes »), l'art de s'esquiver, de bricoler de façon géniale etc.
Et Michaux de noter en passant : « Les Chinois nous détestent, nous, ces maudits touche-à-tout, qui ne peuvent rien laisser tranquille. Obus, boîtes de conserves, missionnaires, il faut que nous leur lancions notre activité à la tête. Aussi, quelle haine en Extrême-Orient, et jalousie ! Et nous, comment paraître innocents ? »


Peut-être est venue pour eux l'heure de la revanche ?! Sans perdre leur génie ancestral…