V – CONTRE LE MAL D'AMOUR

Tous ? toutes, les uns, les autres, et, s'il en reste, eux aussi ; les femmes, les peintres, les poètes, les amuseurs et les jaloux, les boutiquiers, les serruriers et les gourous, la Belle Heaumière, et la Gantière, Blanche la Savetière, la Gente Saucissière, Guillemettre la Tapissière, Jeanneton la Chaperonnière et Catherine la Boursuière – toutes femmes de Villon -, Esméralda, Phèdre, et Bérénice, la princesse de Clèves, Manon Lescaut, Jacques le fataliste. Continue-ton la liste ?Et Paul et Virginie, Figaro, la Fanfarlo, Emma Bovary, tous, toutes, les uns et les autres n'avaient qu'un mot, qu'un mal et qu'un tourment : l'amour qui vous affole, vous enivre et vous ment.Est-il un remède, quelques lignes, un poème, qui pourraient diminuer la torture qu'il inflige ? Après avoir cherché partout, on peut dire que loin de la douleur les mots peuvent séduire, mais dès qu'elle frappe au cœur, inutile de fuir, d'éviter sa brûlure : le chagrin, le dédain et l'oubli, tout est compris dans l'aventure.

Oh, la douleur d'aimer avec son goût de mort ! Aimer qui ? S'aimer d'abord, rechercher son confort sans jamais se le dire, prétendre que sans l'autre, on va mourir, alors que la maîtresse, l'amant aux abois ne s'attristent souvent que pour l'amour de soi.

Contre le mal d'amour, il n'est que des détours, il n'est point de remède. La consolation ? Les livres, les chansons, les poèmes, les fables, par cent mille qui disent le cœur misérable, où l'on se reconnaît. « Tu m'aimais, je t'aimais, on ne se verra plus… » On sait qu'on est perdu. Puis on se tait.

Petit poème émouvant, qui a traversé le temps, à lire quels que soient l'amour ou l'amante ou l'amant. Vous vous reconnaîtrez en Christine de Pisan.

VIRELAI

La grant doulour que je porte
Est si aspre et si très forte
Qu'il n'est rien qui conforter
Me peüst ne aporter
Joye, ains vouldroie est morte.

Puis que je pers mes amours,
Mon ami, mon esperance,
Qui s'en va, dedens briefs jours,
Hors du royaume de France
Demourer, lasse ! il emporte
Mon cueur qui se deconforte ;
Bien se doit desconforter,
Car jamais joye enorter
Ne me peut, dont se deporte
La grant doulour que je porte.

Si n'aray jamais secours
Du mal qui met a oultrance
Mon las cueur, qui noye en p)lours
Pour la dure departance.

De cil qui euvre la porte
De ma mort et que m'enorte
Desespoir, qui raporter
Me vient dueil et enporter
Ma joye, et dueil me raporte
La grant doulour que je porte.

Christine de PISAN

Notre conseil : « Si n'aray jamais secours… » Elle ne peut pas parler français comme tout le monde, cette Christine de Pisan ? Mais non, voyons ! Elle vécut voilà six cents ans. Si vous voulez qu'on vous traduise ce virelai en langue d'aujourd'hui, promenez-vous sur un campus – la saison est propice – c'est plein de docteurs en latin, en divers baragouins, dont vous ne pourrez plus dire qu'ils ne servent à rien !


Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001