… un psychiatre devenu fou, un confesseur hors de lui, un marchand d'armes, un bellâtre, une dame d'œuvre de chair, un maniaque et un saint.De l'amour comme de l'être, on peut dire n'importe quoi. Il est la contradiction et la simplicité mêmes. Tout est vrai. Tout est faux. Le premier amour est toujours le plus beau. Le dernier amour est toujours le plus beau. On pardonne tout à l'amour. On ne pardonne rien à l'amour. La présence crée l'amour, et l'absence le renforce. Il existe encore mieux quand on n'en parle pas. L'amour est un honneur et l'amour n'est qu'un plaisir. Plus encore qu'en mathématique, on ne sait jamais, en amour, si ce qu'on dit est vrai, ni même de quoi on parle. L'amour est un paradoxe et un malentendu qui donnent son sens au tout.

L'amour frappe le roi. Et il frappe le valet. Il frappe comme un sourd. Et il frappe en aveugle. Il sème la grandeur et l'abrutissement, l'élévation et la bassesse. L'amour, comme la Joconde, a vu défiler devant lui, au pas de charge, en rangs serrés, des bataillons de sottises. Et il est ce qu'il y a de plus grand et de plus beau au monde. Il est le tout lui-même.

L'homme est d'abord amour. Le monde continue parce qu'il n'est composé que d'enfants, éternelles recrues du temps en train de passer, qui sont le fruit de l'amour. L'amour est l'étoffe dont est fait l'univers. L'histoire n'a de sens que par le pardon qui est irruption de l'amour dans le mal et le temps. L'être est amour. Dieu est amour. Nous pourrions clore ici une brève histoire du tout qui semble avoir atteint avec l'amour et dans l'amour, non pas son but – quelle présomption ! – mais sa fin.


Jean d'Ormesson, Presque rien sur presque tout, Gallimard, 1996, pp. 232-233