« L'amour, écrit Céline, c'est l'infini mis à la portée des caniches. »

Et Valéry :

Baisers, baves d'amour, basses béatitudes…

L'amour est un miracle. Mais c'est un miracle quotidien. C'est le plus répandu, le plus universel, le moins singulier des prodiges. Vous parlez, vous vous promenez, vous regardez n'importe quoi, vous écoutez distraitement, vous buvez quelque chose, vous levez soudain les yeux : le mal est fait. Vous ne vous appartenez plus. Vous appartenez à quelqu'un d'autre.
L'étrange est que le plus banal des motifs de stupeur soit aussi le plus violent. Plus encore que l'argent, la gloire, la santé, le pouvoir, qui sont si chers aux hommes, l'amour suffit, à lui seul, à faire basculer une vie dans le bonheur, ou dans le malheur. Seul l'amour donne un sens à notre passage dans le tout – et peut-être d'ailleurs au tout. Il n'est personne sous le soleil qui, à un moment ou à un autre, n'ait été au moins effleuré par l'aile ardente de l'ange. Corneille, Corneille lui-même, non pas le Racine de Phèdre, de Bérénice ou d'Hermione, compromis jusqu'au cou dans les délices de la passion, mais Corneille, Corneille le Romain, Corneille l'implacable, le poète de l'honneur, le maniaque de la grandeur et du pouvoir suprême, est contraint, à bout de forces, de reconnaître que la gloire n'inspire que pitié au regard de l'amour :

Et le moindre moment de bonheur souhaité
Vaut mieux qu'une si froide et vaine éternité.

Si l'on parlait moins de l'amour, en parlerait-on autant ? Je veux dire que chacun de nous, peut-être, s'occuperait moins de l'amour si tout le monde, autour de nous, ne s'obstinait, à chaque instant, dans les livres, dans les films, dans la conversation, dans les silences aussi, dans les préoccupations de chaque jour, à en faire le centre de tout. Et pourtant, quoi d'autre ? De quoi d'autre, je vous prie, avez-vous vraiment envie ? De maisons, de bijoux, de voitures, de pouvoir sur les autres, de vaine réputation, de rumeurs à faire pitié ? Qu'est-ce qui compte, dans une vie, sinon le peu d'amour qui vient soudain l'enflammer ?
Au moment de parler de l'amour, une espèce d'angoisse nous prend, que n'engendrent ni la pensée, ni le temps ni le tout, ni même l'être, qui sont plus grands que l'amour, ou qui semblent plus grands que lui, mais qui finissent, j'imagine, par se confondre avec lui. L'amour n'est peut-être si puissant dans ce monde que parce qu'il est un autre nom de l'être et un autre nom du tout.
A condition de ne pas craindre le ridicule, il est permis, à la rigueur, de parler du temps après Bergson, après Kant, après saint Augustin dans le livre XI des Confessions, il est permis de parler de l'air ou de l'eau après Bachelard et quelques autres, de la loi, du secret, du cheval ou du langage dont beaucoup, avant nous, ont parlé mieux que nous. Mais parler de l'amour après Horace et Ronsard, après Racine et Goethe, après Stendhal et Proust, après Heine et Aragon !... Il n'est rien de si commun que de parler d'amour, il n'est rien de si rare que d'en parler comme il faut. L'envie nous vient soudain de nous taire et d'écouter les plus grands.

Aragon :

Oui, je n'ai pas honte de l'avouer, je ne pense à rien si ce n'est à l'amour.

ou :

Je suis plein du silence assourdissant d'aimer.

Stendhal :

L'amour a toujours été pour moi la plus grande affaire, ou plutôt la seule.

Chateaubriand :

L'amour ? Il est trompé, fugitif ou coupable.

Proust :

L'amour, c'est l'espace et le temps rendus sensibles au cœur.

ou :

J'appelle ici amour une torture réciproque.

Dante :

L'amor che muove il sole e l'altre stelle.

Apollinaire :

J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends.

Saint Augustin :

Aime et fais ce que tu veux.

ou :

La mesure d'aimer Dieu, c'est Dieu même ; la mesure de cet amour, c'est de l'aimer sans mesure.

Goethe :

Von Suleika zu Suleika
Ist mein Kommen und mein Gehen.


ou :

Eh' es Allah nicht gefällt
Uns auf's neue zu vereinen,
Gibt mir Sonne, Mond und Welt
Nur Gelegenheit zu weinen.


Mallarmé :

Ame au si clair foyer tremblante de m'asseoir,
Pour revivre il suffit qu'à tes lèvres j'emprunte
Le souffle de mon nom murmuré tout un soir.

ou :

… Comme un casque guerrier d'impératrice enfant
Dont pour te figurer il tomberait des roses.

Auden :

If I were Head of the Church or the State,
I'd powder my nose and just tell them to wait.
For love's more important and powerful than
Even a priest or a politician.


Tristan L'Hermite :

Veux-tu, par un doux privilège,
Me mettre au-dessus des humains ?
Fais-moi boire au creux de tes mains,
Si l'eau n'en dissout pas la neige.

Vigny :

Que m'importe le jour ? que m'importe le monde ?
Je dirai qu'ils sont beaux quand tes yeux l'auront dit.
Quevedo :

Serán ceniza, mas tendrá sentido ;
Polvo serán, mas polvo enamorado.


Ronsard :

Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle,
Ce pin, où tes honneurs se liront tous les jours :
J'ai gravé sur le tronc nos noms et nos amours,
Qui croîtront à l'envi de l'écorce nouvelle.

ou :

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que, vif et mort, ton corps ne soit que roses.

Verlaine :

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encore de vos derniers baisers.
Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

Maynard :

Pour adoucir l'aigreur des peines que j'endure,
Je me plains aux rochers et demande conseil
A ces vieilles forêts dont l'épaisse verdure
Fait de si belles nuits en dépit du soleil.

L'âme pleine d'amour et de mélancolie
Et couché sur des fleurs et sous des orangers,
J'ai montré ma blessure aux deux mers d'Italie
Et fait dire ton nom aux échos étrangers.

Si je voyais la fin de l'âge qui te reste,
Ma raison tomberait sous l'excès de mon deuil :
Je pleurerais sans cesse un malheur si funeste
Et ferais, jour et nuit, l'amour à ton cercueil.

Baudelaire :

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
O toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs !
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs.
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !

Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses,
Que ton sein m'était doux ! Que ton cœur m'était bon !
Nous avons dit souvent d'impérissables choses
les soirs illuminés par l'ardeur du charbon.

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
Que l'espace est profond ! Que le cœur est puissant !
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !

La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison !
Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.

Racine :

J'aimais, Seigneur, j'aimais : je voulais être aimée.

ou :

Pour jamais ! Ah Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime !
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous,
Que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur et que de soins perdus !
L'ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours, si longs pour moi, lui paraîtront trop courts.

ou :

OENONE

Que fruit tirerons-ils de leurs vaines amours ?
Ils ne se verront plus.

PHEDRE

Ils s'aimeront toujours.