LÀ-BAS

J'ai tant voulu, j'ai tant cherché, j'ai tant couru
Dans le vent des matins aux aurores limpides,
Dans le feu des midis aux rêves disparus,
Dans la fuite des nuits aux attentes cupides !

Ô ces chevauchements d'horizons incertains,
Ce va-et-vient sans fin où mon âme s'épuise
Quand ma chair rageuse cherche dans le lointain
Un regard apaisé ! Et ma passion s'aiguise

De vaines espérances. J'ai serré sur mon cœur
Des astres coruscants aux ardeurs glacées,
J'ai bu avec délices d'innommables liqueurs
Et j'ai en vain cherché les traces effacées

Sur le sable des plages où j'avais cru aimer.
Je voudrais tant savoir le secret des fontaines
Ou du chant des cigales et pouvoir arrimer
Au ponton de l'espoir cette barque incertaine

Ballottée par le vent de mes contradictions !
Il fait nuit. Il fait froid. Caracolent des ombres
Sur d'étranges chemins, sombres malédictions
Accrochées aux épaves de mes rêves sans nombre.

Là-bas ! J'irai là-bas implorer le soleil !
J'irai me vautrer nu dans ses jeux de lumière,
Éblouissant du feu de milliers d'arcs-en-ciel,
Jouissance effrénée, renaissance première,

Dur sentier chaotique où je bute sans fin...
Là-bas quelqu'un m'attend, ou du moins je l'espère.
Sans rassasier jamais ni ma soif ni ma faim,
Je vais en proie au doute en quêtant des repères.

Ne jamais m'arrêter car ce serait mourir.
Regarde ! La route est là, devant toi, qui t'appelle.
Là-bas, désert aride peut encore refleurir.
Il faut te relever, il faut rester rebelle.

Dire non à ta peur des plaisirs défendus,
Refuser la douceur des étreintes licites,
Chevaucher sans pudeur par les sentes perdues
Où s'enfuient des damnés les dépouilles proscrites.

Ne jamais accepter de baisser le regard
Quand l'horreur te séduit avec avidité.
Moissonne tes passions et n'aie jamais d'égard
Pour les pleutres ployés sous leur moralité.

Fonce au bout de tes rêves quand ils ouvrent parfois
Les portes de l'enfer. Au royaume des ombres
Qu'émerge de la nuit ce que ta vaine foi
T'interdit d'enlacer. Refuse les décombres

De tant de certitudes à jamais disparues
Où tu feignais hier d'amarrer tes attentes.
Oublie les illusions des foules accourues
Au chœur des sanctuaires ! Ose poser ta tente

A l'aplomb des abîmes ou des gouffres obscènes
D'où monteront peut-être les fétides odeurs
D'une passion rancie... Jouissance malsaine
Des chairs torturées, fastueuses laideurs

Où j'irai assouvir mes fantasmes d'amour !
Il est un crépuscule bien plus resplendissant
Que toutes les aurores. Je saurai bien un jour
Moissonner le couchant dans des gerbes de sang

De sperme ou de douleurs que mes doigts trop avides
Sans cesse voudront glaner au linteau de minuit.
Mes soleils ne sont plus que des ostensoirs vides
Mais je choisis ce jour d'y roussir mon ennui.


B. poète anonyme (1933-2007)