LETTRE 30ème

L'APPEL DU MUEZZIN

Chérie,

Tu me demandes, petite curieuse, d'où me vient ce goût pour les jeunes Arabes ? Ce n'est pas un goût, c'est le hasard. Ce sont eux qui viennent à moi par soif d'exotisme, sans doute, car je leur ressemble si peu ! Parfois pour un besoin de protection.
Tu connais ma vie, je t'ai caché peu de choses. Pour être plus précis sur le sujet, voici ce que je pourrais ajouter. J'avais jusqu'alors peu séjourné en Orient, mais lorsque j'obtins un poste au Maghreb, ce fut pour moi le choc ! Il me sembla que l'appel du muezzin et le chant du désert me parlaient de Dieu. J'ai donc étudié quelque peu leur culture et leur religion. Et si je n'y ai pas trouvé Dieu – le dogme absurde de la religion m'en a une fois de plus rendu la face repoussante – j'y ai en revanche trouvé une manière de vivre qui m'a charmé : un mystère, une sensualité, un fatalisme reposant l'esprit et excitant les sens. Je sais très bien que l'Islam condamne l'homosexualité mais il me semble, curieusement, que cet interdit ne soit pas descendu en dessous de la ceinture des hommes de là-bas. C'est qu'ils sont les héritiers directs des Grecs comme leurs poètes de l'après-Egire : Abou Nawas, Saadi, Tifachi, Hafiz ou Omar Khayam, le grand mathématicien et poète du 12ème siècle. Tous, ils chérirent les femmes, les garçons et le vin !

« Délicieux enfant turc,
Enfant inaccessible !
Je l'aime éperdument !
Le sabre dégaine de ses prunelles
Est tout ensemble ensorceleur
Et prompt à l'attaque !
Sur son visage resplendit la lumière,
Sa bouche est un nid de friandises !
»

Hafiz

Qui, chez nous, a chanté aussi joliment l'amour des garçons ?

« Il reste que la séparation des sexes dans tous les pays musulmans, la configuration des espaces et des villes, les pratiques sociales de forte proximité (esprit de corps) ont donné naissance à une gestuelle imprégnée de douceur de vivre et de détente. » (Malek Chebel in Encyclopédie de l'amour en Islam). Le visiteur peut d'ailleurs respirer cette ambiance au quotidien : on se promène main dans la main, on s'embrasse à toute occasion… et les peaux sont si chaudes, la beauté si insinuante, les parfums si capiteux, les mets si épicés et les hammams si érotiques ! Ce mirage de chair m'est allé droit au cœur, moi qui suis si froid, si complexé. Hélas ! je crains que tout ne change très rapidement avec cette régression fanatique prônée par quelques fous sanguinaires. Pourrons-nous retourner longtemps encore dans ces Eldorados ? Et quand l'homme cessera-t-il donc de vivre dans la peur et le mensonge ?

A ce sujet, je ne suis pas d'accord avec un passage du livre récent de Frédéric Mitterand - que par ailleurs j'admire comme homme de télévision. Son témoignage évoque ses amours exotiques souvent vénales. Il est vrai que plane toujours dans l'air une certaine combinazione, un soupçon de business dans les rapports qu'on peut entretenir avec les jeunes Maghrébins mais n'est-ce pas un juste rééquilibrage entre le riche Nord et le Sud pauvre ? Et puis, j'ai rencontré cette particularité dans tout le bassin méditerranéen. J'ai également noté ce juste retour des choses en ce qui me concerne : après de passagères rencontres, il m'est arrivé de recevoir des marques de tendresse et de reconnaissance. J'eus honte parfois, quand on me recevait chez papa et maman, de trouver offert sur la table ce qui était peut-être la nourriture du mois… et c'est par contre avec fierté que je porte au cou et au poignet – pour le souvenir et pour me porter chance – deux chaînettes d'argent que je ne quitte jamais et qui me furent offertes en ces circonstances-là.

« Quelque part nos amours nous survivent même si elles ne furent que passagères, consignées dans le grand registre du temps. » (André Gide)


Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu, ALNA

On peut trouver ce livre délicieux à la Librairie BLUE BOOK à Paris