Les marronniers sont juste un peu plus pâles, dans le square Carpeaux. Il fait encore très beau, très chaud. Mais monsieur Spitweg l'a bien senti. Un je-ne-sais-quoi de trop sucré dans le soleil de fin d'après-midi. Une brume plus fraîche dans la rumeur du petit matin. L'automne va commencer.Oh certes, ce n'est pas Kinzheim. Il n'y aura pas les mûres à cueillir dans les haies, les cèpes au creux de la forêt vosgienne, le raisin blond dans les vignes penchées. Mais c'est peut-être encore mieux ainsi. L'automne de Paris, c'est d'abord dans la tête.
Monsieur Spitweg dépense bien peu pour son habillement. Mais, presque chaque année, il s'achète un nouveau pull d'automne.

- Comment, déjà en pull-over, Spitweg ?

Oui, Arnold aime enfiler son pull juste un peu trop tôt, parfois sur une chemisette – et cette sensation de rêche sur les avant-bras, c'est délicieux. Le brun, le chocolat, le vert chardon, le vert Irlande : les tons du pull-over se déclinent en camaïeu, toujours les mêmes, en apparence. Mais pour Arnold, c'est chaque fois comme une forêt nouvelle qu'il s'achète. Une forêt mentale où s'enfoncer en plein cœur de Paris.
Pour faire bonne mesure, il renouvelle aussi sa gomme, son stylo. Il fait ses courses de rentrée, gourmand, entre les gosses et les mères pressées qui enfournent au petit bonheur les objets des listes scolaires. Dehors, les quais sont presque bleus, dans la lumière de septembre. Mais monsieur Spitweg est ailleurs. Il s'habille de neuf, et commence à finir.

Philippe Delerm, Il avait plu tout le dimanche, Mercure de France, 1998