IV – CONTRE L'ENNUI

Pas un chat. Des chardons bleus sur le bord des chemins. Le petit bourg qui tient dans le creux de la main. Et la cloche emballée qui mesure l'abîme.
Un chien dressé à coups de trique, maigre et soumis, s'enfuit comme un maraud, détournant par instants sa tête servile, vers des poursuivants, inexistants. Fidèle image de tous ici, bêtes et gens.
Le soleil, lent, vieillard, façonne doucement des fruits, des fleurs, des blés qui meurent chaque année, mangés, cueillis, fauchés, pour que chacun nourrisse son tourment.
Parfois un bruit. Puis le silence. Puis un bruit de nouveau qui gonfle, devient gros, s'enfuit. Decrescendo. Une moto ? une auto ? Peut-être rien. Un bruit tout seul, aveugle et terrifiant, qui fonce, vers l'amnésie du temps.
Le soir débarque sur les prés, démonte la forêt, enroule les sentiers où vont tourner en rond les promeneurs attardés, toute la nuit, toute la nuit.
Au petit jour, on les retrouve, immobiles, couchés, les bras tendus vers l'horizon, et les yeux grands ouverts, dans leurs plus beaux atours. On sait bien qu'ils sont morts d'amour.Mais c'est toujours douloureux de l'admettre. Car le matin dépose au bord des champs l'espérance qu'ils n'ont pas eu le temps de reconnaître.
Partir ? Fuir l'ennui des campagnes ? S'en aller habiter des châteaux en Espagne ? Il y a mieux, il y a la ville, avec des gens nombreux qui parlent fort et pensent que marcher dans les rues sans soleil et sans joie donne cent ans d'avance.
Et que faire la taupe dans des couloirs sous terre, courir dans tous les sens comme un soldat en guerre donne envers le candide ignorant tout cela un permis d'arrogance.
Partir ? Peut-on guérir l'ennui que secrète l'immobile des terres ? Ou faut-il se résoudre à aimer leur mystère ?
Pour qui sait s'avancer vers les sillons d'octobre, et saisir dans sa paume quelque motte blonde, et l'écraser, jusqu'à ce que, poussière, elle devienne vent… les terres mortes sont la vérité du monde.Voici, en un sonnet joli, l'ennui des campagnes et l'envie de pays de cocagne traités par la rose, le fruit, et Vincent Muselli.

VERS LES VILLES

Puisque malgré l'éclat de leur plus beau costume
Tu n'as point reconnu les fleurs de ton jardin,
Puisque tu n'as trouvé que ta propre amertume
Cachée au fond des fruits offerts à ton dédain,

Et puisqu'enfin l'ennui, dévorant tes journées,
Rôde comme un voleur autour de ta maison,
Quitte l'azur banal et les pourpres fanées
Dont les soleils usés tissent ton horizon.

Pars !traverse les ponts, les canaux et les douves
Et va-t'en, soutenu par le mal que tu couves,
Porter ton cœur farouche en ces pays haineux

Où, comme lui souffrante et pourtant parfumée,
Fleurit chaque printemps vers un ciel charbonneux
Aux portes de l'usine une rose enfumée !


Vincent Muselli

Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001