2 – CONTRE L'IMPUISSANCE

Il n'est pas aisé de traiter de ce problème essentiellement masculin – on sait que les femmes usent en général d'artifices sonores simulateurs qui leur permettent de penser en même temps à des choses utiles : la liste des commissions, la lessive des slips et des chaussettes…
Donc, l'homme est contraint à une certaine efficacité, sinon, sa partenaire le déclare impuissant, le répète à ses amies intimes, puis à toutes ses amies qui le répètent à leur mari qui passe alors tout à fait par hasard dans la rue de ladite partenaire, s'arrête devant sa maison, frappe, s'assure que l'impuissant n'est pas là, parle du temps, du printemps, des fraises des bois, des fruits divers… et finit par mettre la main au panier !
Ce n'est guère honnête, mais à qui la faute ? Il eût pourtant été facile, grâce à la poésiethérapie, de remettre les choses en ordre afin que se dresse, altière et fière, un brin goguenarde, cette partie si imprévisible de l'homme que chacun nomme à sa façon.
Justement, dans la poésie de Mallarmé, si discutée, si obscure parfois, n'est-il pas permis de penser que le mot « aile » peut avoir un sens double ? Si on l'admet, la lecture de l' « Autre éventail » devient lumineuse et constitue un formidable encouragement pour un couple qui manque d'imagination pour relancer la machine.

Notre conseil : La lecture thérapeutique du poème doit s'effectuer en couple (surtout à cause de la première strophe). Les partenaires se tiennent l'un près de l'autre (pour la même raison). Il est particulièrement recommandé de réfléchir au troisième vers de la 2ème strophe, à la limite de la contrepèterie, à la 3ème strophe tout entière, et surtout au premier vers de la 4ème strophe. Le sens du premier vers de la dernière strophe apparaît alors sans équivoque. Cette thérapie a jusqu'à présent donné d'excellents résultats.


AUTRE ÉVENTAIL

Ô rêveuse, pour qui je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.

Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
Dont le coup prisonnier recule
L'horizon délicatement.

Vertige ! voici que frissonne
L'espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s'apaiser.

Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu'un rire enseveli
Se couler du coin de ta bouche
Au fond de l'unanime pli !

Le sceptre des rivages roses
Stagnants sur les soirs d'or, ce l'est,
Ce blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d'un bracelet.

Stéphane MALLARMÉ

Signé J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001


Bellini post scriptum : bien que cette panne me soit jusqu'à ce jour totalement étrangère, proprement inimaginable, je pense que la poésie mallarméenne doit fonctionner tout aussi bien pour les étreintes homosexuelles surtout si l'amant défaillant susurre plusieurs fois de suite à son amant accueillant - d'emblée et exclusivement dans l'interversion plaisante des syllabes - le troisième vers de la deuxième strophe.
Bonne chance !