1 – CONTRE LES PIQURES D'INSECTES

La piqûre d'un insecte est souvent ressentie comme une injustice. Pourquoi moi et non pas mon voisin, mon frère, mon cousin qui me regardent bêtement enlever le dard pendant qu'une perle de sang coiffe l'œdème réactif en forme de petit volcan ?
Pourquoi moi ? L'amertume se développe, l'esprit de vengeance aussi. On souhaite aux autres les mêmes douleurs. Au besoin, on laissera volontiers la fenêtre de leur chambre ouverte, un orageux soir d'août, afin que vingt moustiques, deux guêpes et un frelon investissent oreillers, pyjamas et couettes…
La paix du monde est menacée.
Pendant ce temps, la piqûre est devenue brûlure, elle irradie dans le corps entier, le vinaigre ou l'alcool ne fait qu'ajouter à la douleur aigre ou acide qui va déteindre sur l'humeur.La fête est gâchée, la promenade écourtée, la soirée fichue.
Sauf si vous êtes fidèle à votre manuel de poésiethérapie. C'est Verlaine qui va vous sauver. Lisez ce sonnet « L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable/Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou… » Le deuxième vers est le vers magique, celui qui dissout puis dissipe le mal car on se laisse emporter par le bercement des mots. Et, au dernier vers « Ah ! Quand refleuriront les roses de septembre ! », on n'a plus qu'une hâte, c'est de relire le texte entier, et même de l'apprendre par cœur. La guérison est rapide.

Notre conseil : Ce sonnet est destiné essentiellement aux piqûres de guêpes. Cependant, s'il s'agit d'une piqûre de moustique, on peut lire sans dommage : « Que crains-tu du moustique ivre de son vol fou. » Même procédé si l'insecte est une abeille, une mouche, un taon, un cousin ou un frelon. Attention, il est préférable de ne pas utiliser ce poème pour une autre piqûre, celle d'un serpent ou d'un scorpion par exemple, car « Que crains-tu du serpent ivre de son fol fou » éloigne tout espoir de guérison.

L'ESPOIR LUIT…

L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil poudroie toujours à quelque trou.
Que ne t'endormirais-tu, le coude sur la table ?

Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.

Midi sonne. De grâce, éloignez-vous, madame,
Il dort. C'est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.

Midi sonne. J'ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors ! L'espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah ! quand refleuriront les roses de septembre !

Paul VERLAINE

AppendiceLa piqûre (plus exactement la morsure) de serpent peut être mortelle. Aussi, afin de mettre toutes les chances du côté de la victime, il faut lui proposer un texte très court qu'elle sera capable de lire avant que le venin parvienne au cœur, ce qui, en général, est fatal. Le cœur, dopé par les informations descendues en urgence du cerveau, fera la nique aux principes paralysants et pompera, pompera courageusement. Il maintiendra la vie dans le corps de celui qui trouvera alors assez de force pour chasser le secouriste non recyclé voulant à tout prix lui faire une autre piqûre, celle du sérum antivenimeux dont on sait qu'elle fait plus de victimes que la morsure du reptile.Quel texte court proposer ? Une épigramme bien troussée fera l'affaire. On peut choisir l'une des plus connues de Voltaire. Mais lorsqu'on sait que Voltaire l'a empruntée à l'Epigrammatum Selectus datant de 1659, et que cet Epigrammatum le tenait lui-même d'un distique latin « La vipère et le Cappadocien », on s'efforcera de faire lire les trois versions à la proie du serpent afin qu'elle assimile parfaitement l'idée que l'homme peut dépasser en virulence n'importe quel crotale, c'est une vérité qu'il faut absolument connaître avant de trépasser.

Notre conseil : On peut accommoder les deux premiers vers aux circonstances et aux personnages concernés. Par exemple, tout a fait recommandé en cette saison : « Ce midi, à Wolfeboro, un aspic a mordu Sarko… »

EPIGRAMMATUM SELECTUS

Un gros serpent mordit Aurelle
Que croyez-vous qu'il arriva ?
Qu'Aurelle en mourut – Bagatelle !
Ce fut le serpent qui creva.

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EPIGRAMME

L'autre jour au fond d'un vallon
Un serpent piqua Jean Fréron
Que pensez-vous qu'il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva.

Voltaire

Signé J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001