Savez-vous ce que c'est une pluie d'été ?
D'abord la beauté pure crevant le ciel d'été, cette crainte respectueuse qui s'empare du cœur, se sentir si dérisoire au centre même du sublime, si fragile et si gonflé de la majesté des choses, sidéré, happé, ravi par la munificence du monde.
Ensuite, arpenté un couloir et, soudain, pénétré dans une chambre de lumière. Autre dimension, certitudes juste nées. Le corps n'est plus une gangue, l'esprit habite les nuages, la puissance de l'eau est sienne, les jours heureux s'annoncent, dans une nouvelle naissance.Puis, comme les pleurs, parfois, lorsqu'ils sont ronds, forts et solidaires, laissent derrière eux une longue plage lavée de discorde, la pluie, l'été, balayant la poussière immobile, fait à l'âme des êtres une respiration sans fin.
Ainsi, certaines pluies d'été s'ancrent en nous comme un nouveau cœur qui bat à l'unisson de l'autre.

(…)

Je me rends soudain compte qu'il y a de la musique.
Ce n'est pas très fort et ça émane de hauts parleurs invisibles qui diffusent le son dans toute la cuisine.
C'est la mort de Didon, dans le Didon et Enée de Purcell. Si vous voulez mon avis : la plus belle œuvre de chant au monde. Ce n'est pas seulement beau, c'est sublime et ça tient à l'enchaînement incroyablement dense des sons, comme s'ils étaient liés par une force invisible et comme si, tout en se distinguant, ils se fondaient les uns dans les autres, à la frontière de la voix humaine, presque dans le territoire de la plainte animale… mais avec une beauté que les cris de bêtes n'atteindront jamais.
Briser les pas, fondre les sons.
L'Art, c'est la vie, mais sur un autre rythme.

(…)

Et on en est restés là quelques minutes, à écouter la musique. J'étais d'accord avec lui. Mais pourquoi ?
En pensant à ça, ce soir, le cœur et l'estomac en marmelade, je me dis que finalement c'est peut-être ça l vie : beaucoup de désespoir mais aussi quelques moments de beauté où le temps n'est plus le même. C'est comme si les notes de musique faisaient un genre de parenthèses dans le temps, de suspension, un ailleurs ici même, un toujours dans le jamais.
Oui, c'est ça, un toujours dans le jamais.
N'ayez crainte, Renée, je ne me suiciderais pas et je ne brûlerais rien du tout.
Car pour vous, je traquerai désormais les toujours dans le jamais.
La beauté dans ce monde.

Page 256 (fin du livre)

PS Merci à la fidèle internaute qui m'a... qui nous a fait connaître aujourd'hui les extraits du dernier livre qu'elle a aimé.