L'AVARE de Molière (acte IV, scène 7)

HARPAGON. (Il crie au voleur dès le jardin, et vient sans chapeau.)
- Au voleur, au voleur, à l'assassin, au meurtrier. Justice, juste Ciel. Je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être? qu'est-il devenu? où est-il? où se cache-t-il? que ferai-je pour le trouver? où courir? où ne pas courir? n'est-il point là? n'est-il point ici? qui est-ce? Arrête. Rends-moi mon argent, coquin... (Il se prend lui-même le bras.) Ah, c'est moi. Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas, mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami, on m'a privé de toi; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie, tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde. Sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris? Euh? que dites-vous? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait épié l'heure; et l'on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute ma maison; à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés! Je ne jette mes regards sur personne, qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh? de quoi est-ce qu'on parle là? de celui qui m'a dérobé? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon voleur qui y est? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences, et des bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.


SARABANDE, d'Ingmar Bergman


« (…) Juste deux ou trois exemples pour que le lecteur comprenne bien notre entente souvent cordiale, des fois franchement miraculeuse comme dans la religion que j'y crois encore, plus lui, passons. (De moins en moins en fait, par rapport à l'amour qui est ma vraie seule religion de plus en plus. L'amour pur, c'est mon rêve !) Par exemple donc, la fois où on avait échangé Camping contre Sarabande, on était d'accord tous les deux en sortant du premier : c'était nul à chier, là, l'expression s'imposait et comme, quand je suis en présence de mon écrivain préféré, je m'embête plus comme à Issy-les-Moulins où je fais le stupide, exprès je crois, non seulement avec lui je dis ce que je veux, mais en plus je pense aussi ce que je veux, des fois ce que je… peux ! difficile car avec lui, faut suivre. Donc Sarabande, c'était le dix-septième ciel, j'avais jamais goûté un film aussi rempli, aussi pur malgré les cris et les corps très vieux. Quand la vieille Marie ou Marianne, je me rappelle plus, encore si belle avec ses yeux bleus de petite fille, fait sa prière dans la chapelle remplie de lumière et d'orgue, moi, Loïc, je faisais ma prière avec elle devant la peinture ancienne de Ieschoua mon amour, pour elle, pour qu'elle fasse la paix avec son terrible mari ancien, pour qu'ils connaissent encore l'amour pur d'avant, quand ils étaient encore mariés au bonheur. Et quand à la fin la jeune fille jouait Bach à la suite n°1 je crois sur son violoncelle, si fragile, si fière, si inspirée, mon écrivain et moi on pleurait tous les deux comme deux gaufrettes de Proust – qu'il préfère –, sauf qu'au cinéma c'est permis entre nous. Je peux pas… j'arriverai jamais à expliquer ces miracles-là au cinéma qui sont bien trop rares comme un buisson ardent dans le noir. Je vais revenir sur un autre exemple, de guerre civile cette fois entre nous, après Ingmar Bergman, mon illustre inconnu d'avant, que je sais même prononcer maintenant son nom par cœur et l'écrire sans faute, tellement ce metteur en scène est génial, et même suédois et encore de ce monde, ce qui est tout de même rare par les temps qui courent pour un metteur en scène sublime. (…) »

Extrait de IESCHOUA MON AMOUR (chapitre 6)