Dans la nuit du 24 au 25 mars 2007, vers 4 heures (en fait, 5 heures puisqu'on venait de passer à l'heure d'été), j'ai fait ce rêve étrange et pénétrant. Je me retrouve dans le chœur de mon ancienne église. Un petit groupe d'ami(e)s s'est cotisé pour m'offrir du matériel liturgique portatif (?) afin que je puisse à nouveau dire la messe. Sur le socle en béton de l'édifice moderne où j'avais coutume d'officier, une petite table basse, une table ronde miniature en simple aggloméré que j'avais autrefois bricolée pour les enfants. Elle est recouverte d'une nappe bien trop grande… Peut-être s'agit-il de mon ancienne aube ? Je prie au milieu du petit groupe. Je redis les paroles de la Consécration. Ambiance fervente et fraternelle. Que du bonheur ! dirait mon Loïc.

Soudain, je me réveille. Euréka ! Le mot qui était absent dans le chapitre neuvième de mon nouveau livre – ce mot qui manquait dans la formule consécratoire prononcée par Loïc enfant, – ce mot fantôme qu'agacé et frustré je n'arrivais pas à transcrire dans mon manuscrit, lecture après lecture, juste un malaise, une intuition, une sensation de manque et d'inexactitude littérale, voici que soudain je retrouve ce mot dans mon rêve et que c'est sa force détonante qui m'a réveillé ! « Calix » (en français calice). J'en suis ébloui et soulagé, au point que je ne puis m'empêcher d'éveiller O. : « Sais-tu, je viens de faire un rêve fantastique ! » Amical, il ne fait que grogner (il sait que je lui raconterai tout le lendemain… c'est-à-dire tout à l'heure au petit déjeuner).

Ensuite, tandis que je tente de me rendormir, péniblement parce qu'une migraine me ceint la tête (ma bonne vieille migraine classique, celle de l'excitation et des trop forts émois), un projet insensé, quasiment grotesque, entre inconscience cotonneuse et lucidité crépitante, oui, cette perspective s'impose progressivement à moi : réparer mon ancien calice en grès (ne subsiste que sa base tronquée que j'ai gardée depuis mon départ comme un moignon à la fois pathétique et glorieux qui trône, vestige antique, sur le sommet de ma bibliothèque)… trouver un ébéniste habile qui reconstituera le galbe manquant – opération aussi délicate que techniquement improbable – avec un beau bois neuf que je dorerai ensuite moi-même à l'or bruni comme autrefois dans l'atelier de restauration… où j'étais apprenti à 30 ans, tout de suite après avoir fui ma paroisse au cœur de l'été 1978. Du coup, (délirais-je dans le prolongement de mon rêve recommencé ?) on verra… on verrait la différence éloquente, le grès d'avant… l'or d'après, d'après la (re)conversion croyante enfin assumée après quelque trente ans d'errance… Ce vase sacré enfin restitué et rajeuni dont je pourrai… je pourrais… enfin me resservir pour redire la messe avec une poignée d'amis fidèles non rancuniers. Stupeur ! Incrédulité !! Enchantement inouï !!! Aussitôt interdit : il me faudrait auparavant renouer avec Ieschoua, mon premier amoureux, mais en faisant l'impasse, j'y tiens, sur le vieux Pouet-Pouet (« Dieu » pour les non-initiés, peut-être mon plus cher ennemi, ma plus tenace idole ?) et ce, en court-circuitant aussi l'Eglise catholique qui s'est à mes yeux disqualifiée par sa hiérarchie et que j'ai à jamais répudiée (cf. mon implacable IMPOTENS DEUS récemment publié par les éditions Alna). Ce scénario est-il possible ? Est-ce souhaitable ? Est-ce bien raisonnable ? Pourtant, après tant d'années, être enfin apaisé… recousu…réconcilié avec moi-même… Apaisé autant qu'épuisé ! Cette nuit-là, j'ai fini par sombrer enfin dans un sommeil agité…

Au réveil, je voulus en avoir le cœur net. La tête toujours broyée dans un étau, je vais en titubant allumer mon ordinateur pour faire la vérification qui s'impose. Dans le manuscrit de IESCHOUA MON AMOUR, pourtant lu, relu, ressassé depuis bientôt deux mois après la fameuse nuit de janvier (où j'avais rédigé d'un jet les 3 premiers chapitres), à la ligne 70, effectivement sur l'écran le mot manquant brille par son absence ! Précisément le mot qui m'avait réveillé tout à l'heure. C'est pourtant le pivot de la phrase évangélique : hic-est-enim-CALIX-sanguinis-mei-novum-et-eternum-testamentum… CALIX ! D'un clic joyeux, j'ai restitué le mot-clé avec soulagement et en même temps appréhension : où tout cela me conduira-t-il, moi l'athée enragé qui entend détruire toutes les idoles et ne jurer que par le prosaïque et éphémère présent ? Ne suis-je pas en train de me faire tout un cinéma ? Tout ça à cause d'un manuscrit ensorcelé ? Tout ça à cause d'un simple rêve tordu… Sigmund, à l'aide ! Rabbouni, prends pitié ! Dites-moi, l'un ou l'autre, pourquoi l'hôte de mes nuits – cet Homme Noir qui me ressemble comme un frère – me laisse de moins en moins en paix ? Infiltre de plus en plus mon écriture… me tourmente aujourd'hui de plus en plus délicieusement alors que mon onzième texte est bouclé, livré en pâture à des centaines de lecteurs avides, blasés ou indifférents ?

Et si, pour m'en sortir, je faisais appel à mon jeune héros ? Voici ce que, dans mon prochain livre, je lui fais dire concernant la Résurrection du Christ qui est, que je le veuille ou non, la clé de voûte de tout, de l'adhésion ou du refus. Je me souviens avoir passé des heures et des heures à écrire les quelques lignes qui vont suivre. Mon lecteur pensera que c'est un effort bien disproportionné, que ce doit être fastoche d'aligner des mots aussi simples, aussi peu littéraires, que ce n'est en tout cas pas de la grande littérature… Il a peut-être raison. Je voulais quant à moi qu'un gosse des quartiers sensibles, comme on dit, parvienne à synthétiser en moins de 15 lignes ce que les théologiens experts développent en 10 tomes ! Inconsciemment, peut-être voulais-je adhérer à nouveau à une telle simplicité rafraîchissante… Quand je relis ces quelques lignes - souvent en fait - je me dis que Loïc mon amour a raison, que je dois lâcher prise et redevenir ingénu comme lui. Qu'un vieil auteur se mette à l'école de son jeune héros fictionnel exagérément présentifié et indument présanctifié, c'est fou, non ? Peut-être très grave… Mais je ne peux empêcher que la voix de Loïc m'interpelle. Je ne peux m'interdire de chérir aujourd'hui cette voix à la fois étrangère et intime, sérieuse et moqueuse, douce et pressante :

« … ce qui nous sépare, la seule différence grave, je reviendrai plus tard sur le détail de l'histoire car c'est important : moi, je crois dur comme fer que mon héros n°1 est aussi vivant que mon héros n°2, et réciproquement, bien plus même, because il est ressuscité, lui, le troisième jour, plutôt ressuscité Il est, la majuscule s'impose car c'est arrivé qu'à Lui d'abord et le premier avant nous tous. En fait, mon écrivain privé est resté un intello, c'est pour ça qu'il peut rien piger à la résurrection. Franchement, pour moi, elle est limpide : cette putain de mort peut plus rien prendre à Ieschoua puisqu'Il a déjà tout donné, ses forces, son temps, son amour, tout, ses tripes, son sang, toute sa vie, tout Lui, quoi !! Il est le Don majuscule incarné, personnifié, deux en un, c'est son truc génial. Vraiment ça déchire ! Et qu'est-ce qu'on peut chouraver au Don majuscule quand il a rien d'autre à donner que soi ?!!! Même la mort est niquée. Fatalement. C'est géant, non ? Ce don-là, indestructible, plus fort que Spiderman, voilà l'éternité… pardon, voilà l'Éternité sur terre ! Enfantin, n'est-ce pas ? Et en plus, Ieschoua nous a garanti que c'est faisable pour chacun, forcément puisque c'est Lui le prototype. Donc, monsieur l'écrivain, on la ramène pas, on se calme, on croit et tout baigne. » (op. cit. chapitre 5)


CHICHE ?