LITTÉRATURE-NOURRITURE OU BOUQUIN-MARCHANDISE ?
Par Michel Bellin le lundi 26 mars 2007, 10:00 - Lien permanent
L'autre jour, dans un vide grenier, je déniche LE livre que je cherche en vain depuis plusieurs années. Jamais ouvert, jamais lu et il m'en coûte un euro ! Entre les pages étonnamment blanches, je découvre ce joyau – que j'offre ici.
J'allais oublier de noter : c'est un extrait de Jean SULIVAN, cet auteur humble et rebelle qui m'a perfusé depuis 1973… et que j'ai depuis peu retrouvé.Au moment du Salon du Livre parisien, un texte utile, non ?
J'allais oublier de noter : c'est un extrait de Jean SULIVAN, cet auteur humble et rebelle qui m'a perfusé depuis 1973… et que j'ai depuis peu retrouvé.Au moment du Salon du Livre parisien, un texte utile, non ?
« Quand un livre vous a percé le cœur, relisez. Ne croyez qu'aux livres qu'on relit. En ce temps de lecture rapide redoutez les livres faciles qui furent écrits mille fois. Vous les reconnaîtrez à leur succès. Comprendre ? Certes, dans l'ordre scientifique, technique et pratique, c'est-à-dire dans le monde du savoir. Mais en art et littérature il faut craindre la clarté. Ne vous arrive-t-il jamais d'être fatigué de comprendre, c'est-à-dire de reconnaître ce que vous savez déjà ? Faites confiance à l'intelligence seconde, à la nuit, relisez. Cédez à la futilité si vous êtes jeunes, demandez une signature à l'auteur, faites relier pleine peau, caressez. Et soudain réveillez-vous : donnez, vendez, faites-vous quatre sous pour acheter de nouveaux livres ou ne rien acheter. Le livre devenu chair et sang , regard, oubliez-le. Pas de citation. Quel plaisir d'être libre de ses admirations ! Payez-vous ce plaisir-là : c'est le plus grand hommage que vous puissiez rendre à un écrivain. Pas de respect pour les héritiers. Puisez dans vos propres trésors. Sous prétexte qu'un fruit est beau, vous n'allez pas le laisser se dessécher et pourrir : qu'il vous envahisse et que vous inonde la saveur de l'été. Mourir encombré de livres : la belle horreur. Faites le vide ou presque cinq ou six fois dans une vie. Ne gardez que les livres qui résistent, étrangers : l'étranger a toujours quelque chose à nous apprendre. »
Jean Sulivan, Petite littérature individuelle, Gallimard, 1971
Snobons les éditeurs-épiciers, les médias aux ordres, les Carremouth pseudo-culturels, les listes des meilleures ventes, les Foires au papier relié et autres bruyants prescripteurs… et retrouvons LE livre intérieur, l'unique - le nôtre - et relisons : que l'écriture soit blessure, cordial, ivresse, folie … vie secrète !