Extrait de « CHARME ET SPLENDEUR DES PLANTES D'INTERIEUR », un recueil de nouvelles érotiques gay parues chez H&O.

2ème partie

(…) Le lendemain matin, à peine arrivé au-dessus de la falaise, j'aperçois Christophe en contrebas. Il est étendu sur sa serviette et semble endormi sur le dos. A deux pas, une serviette pliée et le second sac de plage : l'amateur de mollusques est déjà en chasse. Le frangin ignore ce qu'il perd ! Tant mieux. Nous serons seuls. Un plaid recouvre Chris jusqu'au menton car il fait un peu frisquet en ce début de matinée ; le ciel semble hésiter entre le gris et le bleu. Mais la marée va balayer tout cela et nous saurons tous deux comment nous réchauffer ! Lorsque je lance mon « hello ! » matinal, sa frimousse émerge joyeusement. Surprise ! Un bandana rouge enserre sa tête, ce qui donne à mon mec un air de pirate très avenant. Mais, d'un geste rapide – tout en s'asseyant, toujours emmitouflé dans son plaid – il arrache le bandana et éclate de rire devant mon air ahuri.
- Surprise surprise ! Tu aimes ?
J'avoue que je suis interloqué. Sans voix. Les belles boucles brunes ont disparu durant la nuit. Il n'en reste pas une. Le crâne de Christophe est parfaitement lisse, à peine plus pâle que le reste du visage. La boule à triple zéro ! Cette fois, il ne ressemble plus à un flibustier mais à un jeune galérien.
- Putain ! Le choc. Tu n'aurais pas dû… Laisse-moi t'admirer…
Je le contemple. Il est beau à pleurer, avec un air un peu mélancolique que je ne lui connaissais pas la veille. C'est drôle tout de même, quand on baise un mec la toute première fois, on croit le sonder d'emblée parce qu'on mêle au plus intime la peau et les humeurs. Tout est toujours à redécouvrir, nul ne ressemble à personne, pas même soi à soi-même. C'est bien mon Christophe de la veille et plus tout à fait lui. Quelques cheveux en moins (beaucoup !), un teint bizarrement plus pâle et cet air un peu trop sage qui me laisse pantois. Ebloui, nostalgique, je me récite mentalement Genet en scrutant sa tronche d'oisillon déplumé :

« Enfant d'honneur si beau couronné de lilas !
Penche-toi sur mon lit, laisse ma queue qui monte
Frapper ta joue dorée. Ecoute, il te raconte
Ton amant l'assassin, sa geste en mille éclats.
Il chante qu'il avait ton corps et ton visage,
Ton cœur que n'ouvriront jamais les éperons
D'un cavalier massif. Avoir tes genoux ronds !
Ton cou frais, ta main douce, ô môme avoir ton âge !
»

J'ai fermé les yeux pour savourer les vers du grand Jean (tiens, le même prénom que le frère de Chris). Mais mon taulard de charme ne l'entend pas de cette oreille.
- Tu rêves ou quoi ? C'est tout l'effet que je te fais !
Il a bondi sur moi. Il est nu. Je le retrouve enfin : la même vigueur, la même manière de m'empoigner avec voracité ! Nous roulons sur le sable. Son visage est tout prêt du mien. Ses yeux toujours aussi profonds, d'un bleu peut-être un peu plus pâle qu'à l'ordinaire (car le ciel s'y reflète). Près de l'oreille gauche, à la hauteur du lobe, un grain de beauté, charmante mouche que je n'avais point encore repérée. Sa bouche immense cherche déjà la mienne, nos lèvres se pressent et se soudent. Et tandis que sa main gauche soutient ma nuque, la droite palpe avec frénésie mon sexe, le malaxe, s'acharne sur le cordonnet qui retient le pantalon de toile. Pendant ce temps, je sonde ailleurs, bien plus haut sur la hune : c'est son crâne que j'explore, que je ne me lasse pas de caresser et d'embrasser. Mon petit bonze à moi ! Des bisous par dizaines sur le dôme bombé, sonores, multicolores, et tous ces papillons butinent et s'agglutinent. Et tandis que mes lèvres avides dévorent la mappemonde, mon émouvant bagnard agrippe mes tétons à portée de ses crocs. Il les agace, les mordille et alternativement, les aspire. Vertige de l'amour ! La volupté me vrille les seins et met le feu aux poudres : enfin désharnachés, dégagés des haubans, nos deux mâts sont hissés. Je sens, contre l'espar, son ancre qui me harponne.
- Fais–moi voir comme tu es beau !
A califourchon sur moi, Christophe se redresse. Il m'offre ses lourds appâts bien plus précieux que toute l'île au trésor : son mât d'artimon en chêne écarlate lesté des deux balises qui flottent sur mon ventre. Nulle trace de chanvre dans les cordages. Pas un poil ! Décidément, le jeunot ne fait pas les choses à moitié. Aussi parfaitement lisse entre les fesses que sur le chef ! C'est un as du rasoir. Ce qui m'intrigue, c'est que cette coupe new look ne semble pas dater d'hier, comme si c'était une peau de couille habituelle, 100% naturelle. Ni irritation ni rougeur. Miracles des onguents modernes ! (Il faudra que je lui demande la marque car, décidément, comme dit la pub, « moi aussi je le vaux bien »). J'ai recueilli dans la paume de ma main gauche les agates rubicondes, fraîches et polies. Je les fais rouler amoureusement. Chris a fermé les yeux, concentré, prêt pour sa course en solitaire. Son sexe se dresse encore plus roide, encore plus haut. La pine écarquillée flirte avec le nombril. Le manche est si lubrifié d'impatience qu'il en devient mât de cocagne savonné à souhait. Je l'empoigne de ma main droite tandis que l'autre continue de malaxer les balancines. De la dynamite tant c'est dur et brûlant ! Et la manœuvre s'amplifie. C'est moi l'homme de barre, tout à mon affaire. Le moussaillon a toujours les yeux clos, il gémit, palpe ses propres tétons qui s'arrondissent comme deux coquillages et durcissent entre ses doigts. J'ai pris le timon à deux mains pour contourner le môle et atteindre la dunette avant. Elle est d'un beau rose brillant, humide, comestible, si gonflée que la drisse violette menace de se rompre. Autour de la chouque percée, la frette s'arrondit. Mon poing amarre la base du grand mât, le cale solidement tandis que mon index droit vérifie le nœud de carrick, le paluche, le patine, le titille langoureusement. Christophe ouillouille de plus belle :
- Du mou, mon cap'taine, il faut donner du mou…
Pas de panique. Paré pour la manœuvre. Nous sommes sortis sans encombre du port autonome, juste un peu secoués par la violence du grain. Ca va gerber ! Tous aux abris ! Un vrai geyser d'Islande. Je réserve mes munitions pour plus tard, dès que j'aurai mis le cap sur l'archipel fessu. Une sacrée bordée en perspective ! Mon mousse callipyge ouvre enfin ses yeux bleus chavirant de plaisir. Il vient de démâter. Un peu d'écume ourle sa paupière droite et mouille son menton. On jurerait un rescapé du Bounty grelottant de bonheur. Christophe, ma tendre goélette ! Avec ou sans cheveux, par derrière ou devant, du levant au ponant, qu'il est beau mon jésus rochelais dès qu'approche la tempête ! Quelle voilure ! Quelle allure ! Que d'écume crémeuse ! Je le regarde, il me regarde, nous nous sourions, nos deux focs affalés et, sans mot dire, sur sa peau satinée, j'étale du bout des doigts des gouttes de marée…
Il y eut bien sûr, ce mardi, quelques prolongements et autres bagatelles après la trempette, deux tomes n'y suffiraient pas. Nous ne devions plus nous revoir avant samedi soir car Christophe avait un truc urgent à faire avec son frère mais il ne m'avait pas mis dans la confidence. Il m'avait annoncé, avec des airs de Sioux facétieux, qu'il allait avoir 25 ans et que nous fêterions dignement l'événement en tête-à-tête. Un quart de siècle et déjà tant d'allant, effectivement, ça ne saurait passer inaperçu. Quatre jours à attendre, autant dire l'éternité ! Ma plage était devenue un arpent de friche stérile. Sans cesse l'icône de Christophe m'obnubilait, son charme juvénile opérait à distance, sa sensualité grisante s'incrustait dans ma peau, sa double image d'hoplite vigoureux et de bonze gracile. Comment le même garçon pouvait-il incarner en même temps l'opulence et le dépouillement, l'ardeur et l'abandon, l'ombre et la lumière ? Quand, sur la plage désertée, durant ces jours d'ascèse, ma main se tendait et pétrissait le vide, je n'avais qu'un désir : effleurer les lèvres de corail, arpenter le front d'Antinoüs et, des tempes à sa nuque, caresser en tous sens la luisante coupole. Mais l'instant d'après, j'étais déjà marri… comme si une part de la personnalité de mon mousse sublime avait été fauchée en même temps que ses mèches folles et que subsistait, après l'émondage sévère, un autre Christophe tout aussi charmant, mais un peu plus diaphane sous son crâne ras, le même éphèbe ardent et pourtant vulnérable … malgré ses coups de rein et son rostre d'airain. Mystérieux androgyne ! Alchimie des contraires ! Fascination jumelle ! O mon tendre inconnu, mon kouros déplumé, tu ne perds rien pour attendre, vivement samedi que je sonde ton mystère !
Dès qu'il apparut devant la Tour de la Lanterne où nous nous étions donnés rendez-vous, je fus ébloui. Christophe portait une choupinette chemisette sur son bermuda rose pâle et les liserons bleu nuit de l'imprimé égayaient son minois de jeune panchen-lama. Je lui donnai deux baisers, l'un sur la bouche, l'autre sur le caillou et il rit de ma compulsion. Tandis que nous quittions le chenal pour rejoindre le quartier Saint-Nicolas où j'avais réservé une table pour deux, je faisais parfois trotter mon page devant moi pour mieux jauger la croupe et la démarche altière. Le divin popotin ! O La Rochelle, cité bénie, ville de lumière, toi qui oncques ne vis plus noble palatin !
- Tu sais, il faut quand même que je te dise quelque chose… j'ai invité mon frère.
Douche glacée. Jeannot, le boudeur, l'homme invisible, le ramasseur de bigorneaux. Je l'avais complètement oublié celui-là. Mais c'est notre soirée à tous les deux qui était prévue ! Frangin ou pas, c'est lui l'intrus.
- Fais pas la gueule, Jean est sympa… un peu farouche, c'est vrai, mais nous parviendrons bien à le dérider, pas vrai ? Franchement, dis, je ne pouvais pas l'exclure de mon anniversaire ?
Christophe me regarde et sa candeur attristée me fait fondre. Ma hargne est tombée d'un coup. Va pour la famille mais une chose est certaine, je renverrai le sauvage à ses chers mollusques dès la fin du dessert. Nous nous installons « A Côté de chez Fred », le patron est cordial et, même un samedi soir, il y aura de la place pour trois malgré l'exiguïté du lieu. Vingt-et-une heures. Il y a belle lurette que nous avons dégusté notre bière pression et l'invité surprise se fait appeler Désiré.
- Il fait quoi, exactement, ton frère ? On ne va tout de même pas l'attendre jusqu'à minuit (j'ai repéré sur le menu un rouget aux framboises en papillotes de derrière les dunes et déjà mes papilles se vrillent)
- Justement, quand on parle du loup…
Je me retourne vers l'entrée du restaurant. Le choc ! L'électrochoc. Le gag des Twin Towers ! Si je n'avais pas été déjà assis, je me serais écroulé devant l'écran en flammes. Damned ! Ce Jean qui avance… c'est Christophe ! Copie conforme. La même tronche, la même dégaine, le même look à peu de choses près : une mignonnette chemisette sur son bermuda rouge et les tournesols de l'imprimé s'assortissent avec… ses boucles de jais dignes d'un pâtre grec. Mes yeux naviguent de l'un à l'autre, je commence à piger… je repense aux deux embarquements sur la plage… d'abord la cale ouverte puis le mât de misaine… et les infimes nuances, le regard plus clair et le grain de beauté… Les deux ne font qu'un. Un seul Dieu en deux personnes. Deux vrais jumeaux ! Deux pédés réversibles ! Deux zigues homozygotes ! Deux zobs inséparables et parfaitement interchangeables ! Devant mon air ébahi puis progressivement intelligent, mes deux lascars de charme éclatent de rire.
- Moi, Jean… Lui, Christophe… Toi, Jane. Nous, Jean-Christophe. Nous, avoir beaucoup aimé amour près du grand fleuve. Toi, bon Blanc ; toi, doué… toi, avoir belle sarbacane…
Ils pépient alternativement. Un tandem impayable ! J'en suis presque enivré. Nous rions tous les trois et, lorsque Jean s'approche (je veux dire le pseudo Jean, donc le vrai Christophe), bref, lorsque le frisé s'avance, j'éprouve du bonheur à fourrager à nouveau dans sa crinière intacte (à la table voisine, une dinde dévisage avec suspicion notre trio rescapé et connote éthiquement nos retrouvailles, à en juger par sa moue outragée derrière sa coquille d'huître).
- Tu sais, nous t'avions repéré dès dimanche. Nous étions tous deux planqués derrière les rochers. Pas étonnant que tu te sentes maté : deux paires d'yeux et quatre couilles en feu ! (chut, Christophe, la dinde va s'étrangler !)
- En fait, je te l'avais dit la première fois… (qui enchaîne, bon Dieu, Jean ou bien Christophe ? bref, c'est le rasé)… cette plage est notre Q.G. opérationnel. Notre job, l'été, c'est la pêche aux mecs…
L'histoire devient franchement moins romantique. Je me croyais chasseur et j'étais le gibier ! Dois-je en rire ou bien grimacer ? Je souris, bien sûr, la plage appartient à tout le monde et, durant l'été, l'exclusivité n'est vraiment pas de mise. Il n'empêche, me voilà un tantinet dégrisé mais, bon prince, j'interroge d'un air faussement détaché.
.- Et ça marche la pêche ? La saison s'annonce bonne ?
- Déjà trois touches la première semaine…
- Mais toi, c'est pas pareil. Rien à voir avec le menu fretin...
- Le poiscaille ordinaire, on le rejette à la mer.
- Toi, tu es une belle prise…
- Et un bon mec. Vraiment.
- Pas rien qu'un bon plan.
- Tu as du cœur.
- Et des lettres !
- Alors, ami ami ?
- Et sans rancune ?
Je les regarde l'un après l'autre. Comment leur en vouloir ? Ils sont jeunes et si beaux. Et si enamourés (je les soupçonne, un instant, de jeux incestueux). Bref, ils aiment ça, ils s'en divertissent et c'est toujours gratis. Et avec l'un et l'autre, j'ai divinement joui. Que demander de plus ? Juste un trio sur canapé, ou plutôt sur la plage, en guise de digestif, sans nul doute tout à l'heure au sortir de l'auberge. Il faut donc prendre des forces et fêter notre alliance. Un bonheur n'arrivant jamais seul, l'aubaine continue : avant les coquilles de maître Jean, les coucouilles St Jacques. Mon plat préféré. Un régal ! Mon appétit est d'ailleurs décuplé car je suis assis à la bonne place, entre pâtre et clergeon. Je n'ai qu'à tâter sous la table pour me rassurer sur notre complicité intacte : à ma gauche, dans le short écarlate, une cuisse a frémi sous ma paume, tonique et musculeuse. C'est Tif. A ma droite, sous un pan de liquette, au milieu des belles-de-jour azur, une tige frissonne au bout de mon index et déjà se redresse, embuée de rosée. C'est Tondu. Les jumeaux ne sont pas troublés par mon enquête. Ils dévorent à belles dents. Merveilleuse jeunesse qui n'a pas froid aux yeux et accourt droit au but. Car, j'ai bien compris que Jean et Chris préfèrent les bébêtes directement servies et décortiquées, dans le caleçon ou sur l'assiette … et pas à marée basse, sur la grève monotone. Aucun frère fantôme n'était à la pêche aux moules (tandis que son alter ego faisait ses devoirs de vacances sur mon drap de bain) mais bien planqué dans la falaise. A chacun son tour, à chacun son jour. Après vous, mon frère ! tout contre ses génitoires. – Nenni, mon frère, je n'en ferai rien, plutôt l'observatoire ! Exhib ou bien voyeur, surtout ne pas choisir. A voile et à vapeur. Les deux, mon capitaine !

Décidément, j'aime la marine et les mousses d'opérette. Car, comme dans toutes les comédies musicales, l'histoire commence et finit en chansons. Sur un air de bandonéon, ma câline main gauche, en swinguant dans un slip, lutine l'une des pines (celle de Jean ? Ou bien celle de Chris qui est la plus dodue. Quoiqueue… ça se discute, il faudrait comparer) et ma dextre, habile et nonchalante, enlumine d'étoiles la nappe de papier tandis que « Les damoiseaux de Rochefort » (merci Michel Legrand ! ) valsent la nostalgie sur ma mémoire jazzy imbibée de pineau.

Aux Editions H&O(www.ho-editions.com)