Nathanaël, je te parlerai des attentes. J'ai vu la plaine, pendant l'été, attendre ; attendre un peu de pluie. La poussière des routes était devenue trop légère et chaque souffle la soulevait. Ce n'était même plus un désir, c'était une appréhension. La terre se gerçait de sécheresse comme pour plus d'accueil de l'eau. Les parfums des fleurs de la lande devenaient presque intolérables. Sous le soleil tout se pâmait. Nous allions chaque après-midi nous reposer sous la terrasse, abrités un peu de l'extraordinaire éclat du jour. C'était le temps où les arbres à cônes chargés de pollen, agitent aisément leurs branches pour répandre au loin leur fécondation. Le ciel était chargé d'orage et toute la nature attendait. L'instant était d'une solennité trop oppressante, car tous les oiseaux s'étaient tus. Il monta de la terre un souffle si brûlant que l'on sentit tout défaillir ; le pollen des conifères sortit comme une fumée d'or des branches. – Puis il plut.

J'ai vu le ciel frémir de l'attente de l'aube. Une à une les étoiles se fanaient. Les prés étaient inondés de rosée ; l'air n'avait que des caresses glaciales. Il sembla quelque temps que l'indistincte vie voulut s'attarder au sommeil, et ma tête encore lassée s'emplissait de torpeur. Je montai jusqu'à la lisière du bois ; je m'assis, chaque bête reprit son travail et sa joie dans la certitude que le jour va venir, et le mystère de la vie recommença de s'ébruiter par chaque échancrure des feuilles. – Puis le jour vint.

J'ai vu d'autres aurores encore. – J'ai vu l'attente de la nuit…

Nathanaël, que chaque attente en toi, ne soit même pas un désir, mais simplement une disposition à l'accueil. Attends tout ce qui vient à toi ; mais ne désire que ce qui vient à toi. Ne désire que ce que tu as. Comprends qu'à chaque instant du jour tu peux posséder Dieu dans sa totalité. Que ton désir soit de l'amour, et que ta possession soit amoureuse. Car qu'est-ce qu'un désir qui n'est pas efficace ?

Eh quoi ! Nathanaël, tu possèdes Dieu et tu ne t'en étais pas aperçu ! Posséder Dieu, c'est le voir ; mais on ne le regarde pas. Au détour d'aucun sentier, Balaam, n'as-tu vu Dieu, devant qui s'arrêtait ton âme ? parce que toi tu te l'imaginais autrement.

Nathanaël, il n'y a que Dieu que l'on ne puisse pas attendre. Attendre Dieu, Nathanaël, c'est ne comprendre pas que tu le possèdes déjà. Ne distingue pas Dieu du bonheur et place tout ton bonheur dans l'instant.

Regarde le soir comme si le jour devait mourir ; et le matin comme si toute chose naissait. Que ta vision soit à chaque instant nouvelle. Le Sage est celui qui s'étonne de tout.


André GIDE, Les nourritures terrestres, Editions Gallimard


A propos de Gide, je viens de terminer un livre passionnant CORYDON CITOYEN, sous-titré « Essai sur André Gide et l'homosexualité ». Dans ce brillant essai de Monique Nemer (Gallimard, 2006), très bien documenté, jamais ennuyeux, on voit l'écrivain faire ce qu'il est convenu d'appeler son coming-out – ce que n'avaient osé ni Wilde, ni Proust, ni Cocteau, ni Montherlant. Gide, lui, a choisi de dire et de se dire, à la première personne. Un beau parcours en solitaire d'une archéologie d'un coming-out hors du commun.