ROYAL CÉLIBAT
Par Michel Bellin le mardi 9 janvier 2007, 11:20 - Lien permanent
Dans son dernier ouvrage « La puissance d'exister » – en fait une synthèse de sa pensée philosophique et de son œuvre – Michel ONFRAY préconise une libido libertaire en vantant les mérites de ce qu'il nomme « la machine célibataire ». 100 % d'accord avec lui ! De quoi faire réfléchir, j'espère, les couples rancis autant que les tourtereaux transis... et tous les prescripteurs natalistes ! Onfray, c'est toujours délicieusement jargonnant – donc irritant pour les néophytes pressés, les détracteurs à l'affût ou les lecteurs paresseux brouillés avec le dictionnaire et confondant « précieux » et « précis ». Mais quand on suit ce (jeune) Sage pour notre temps, pas à pas, livre après livre (c'est ici son 31ème !), sa prose, tellement dissoute dans sa vie, en devient pétillante et roborative, restituant à qui veut bien l'assimiler la puissance… et l'ivresse d'exister. Merci Michel !
« Ma définition du célibataire ne recouvre pas l'habituelle acception de l'état civil. A mes yeux, le célibataire ne vit pas forcément seul, sans compagnon ni compagne, sans mari ou femme, sans partenaire attitré. Il définit bien plutôt celui qui, même engagé dans une histoire qu'on dira amoureuse, conserve les prérogatives et l'usage de la liberté. Cette figure chérit son indépendance et jouit de sa souveraine autonomie. Le contrat dans lequel il s'installe n'est pas à durée indéterminée, mais déterminée, possiblement renouvelable, certes, mais pas obligatoirement.
Se construire en machine célibataire dans sa relation de couple permet de conjurer autant que possible l'entropie consubstantielle aux agencements fusionnels. Pour éviter le schéma rien, tout, rien qui caractérise bien souvent les histoires avortées, pas, mal ou peu construites, vécues au jour le jour, poussées par le quotidien, brinquebalantes, la configuration rien, plus, beaucoup me paraît préférable.
Rien, tout, rien caractérise le modèle dominant : on existe séparés, ignorants l'un de l'autre, on se rencontre, on s'abandonne à la nature de la relation, l'autre devient tout, l'indispensable, la mesure de son être, la jauge de sa pensée et de son existence, le sens de sa vie, le partenaire en tout, et dans le moindre détail, avant que – l'entropie produisant ses effets – il devienne le gênant, le gêneur, le fatigant, l'ennuyeux, celui qui énerve et finisse par devenir le tiers à évincer avant, le divorce aidant – et la violence qui l'accompagne bien souvent –,qu'il redevienne rien, un rien parfois coefficienté d'un peu de haine en plus…
Le dispositif rien, plus, beaucoup part du même endroit : deux êtres ne savent pas même qu'ils existent, ils se trouvent, puis construisent sur le principe de l'eros léger. Dès lors s'élabore jour après jour une positivité qui définit le plus – plus d'être, plus d'expansion, plus de jubilation, plus de sérénité acquise. Quand cette série de plus permet une somme réelle, le beaucoup apparaît et qualifie la relation riche, complexe, élaborée sur le mode nominaliste. Car il n'existe aucune autre loi que celle de l'absence de loi : seuls existent les cas particuliers et la nécessité pour chacun de construire selon les plans de son idiosyncrasie.
Le célibataire évolue dans le second cas de figure. Le mode opératoire des agencements célibataires récuse la fusion. Il exècre la disparition annoncée des deux dans une tierce forme, une tierce force sublimée par l'amour. (…) Et quand dans le détail de la vie quotidienne, au détour de l'anecdote et de l'infinitésimal qui concentrent l'essentiel, le réel sape régulièrement l'édifice conceptuel platonicien servant de base au couple traditionnel, la statue se révèle un jour un colosse au pied d'argile, une fiction entretenue par la seule envie de croire aux histoires pour les enfants.
Alors du tout on passe au rien. »
Michel ONFRAY, La puissance d'exister, Grasset 2006 pages 131-133