VOULEZ-VOUS DECROITRE AVEC NOUS ?
Par Michel Bellin le dimanche 7 janvier 2007, 13:50 - Lien permanent
Depuis le printemps 2006, mon pote et moi nous nous lançons un défi : la décroissance volontaire. Quelques nouveaux réflexes à acquérir : le squat aménagé (au détriment du nombre de m²), la récup, l'emprunt, le retour au bon vieux microsillon, les chaussures ressemelées plutôt que remplacées, les « cartes Fidélité » snobées, les emplettes à l'Emmaüs du coin, la réparation et le rafistolage (O. excelle à ce sport !)… Quand l'un des deux est tout prêt de céder à une impulsion consumériste, à l'envie d'amasser ou de bibeloter, à faire une entorse à sa cure de désintoxication médiatique, l'autre le reprend gentiment : « Vraiment besoin ? Et ta décroissance ? » Dans l'ennui visqueux et vulgaire de la consommation (amplifiée par la pub, la télé, la technologie…), cette « simplicité volontaire » n'est pas pour nous un mot d'ordre vertueux, ni ascétique ni diététique ni catholique (« Heureux les pauvres…" et autres fadaises moralisatrices!) pas même écologique etc. – un peu économique (forcée) tout de même ! Outre que nous récupérons sur le tard notre dignité d'adultes critiques et responsables, – avec une pointe assumée de (léger) snobisme esthétisant ! cf. mon post-scriptum en forme de mise en garde – faire la nique aux marchands et aux slogans imbéciles, déjouer leurs pièges grossiers (s'miles et autres « promos »), se moquer en s'abstenant de leurs obscènes réclames ou de leurs soldes tapageuses, c'est un sursaut joyeux, impertinent et excitant puisqu'il nous restitue un bien oublié depuis trop longtemps : L'AUTONOMIE ! (mot plus modeste que Liberté !) Heureux d'avoir pu lire dans une récente chronique du MONDE (dimanche 7, lundi 8 janvier 2007) que d'autres hurluberlus se lancent dans cette joyeuse résistance. [texte ci-après]
« Au Nouvel An 2006, une poignée de riverains de la baie de San Francisco ont formé un vœu particulier : ne plus rien acquérir de neuf durant toute une année. Vivre ainsi seulement du troc, du marché de seconde main, en achetant d'occasion ou en empruntant à son voisin. A quelques exceptions près : la nourriture, les sous-vêtements, les produits de santé et, comme l'on dit, de première nécessité. Pari tenu ( à un ou deux objets prêts). Douze mois plus tard, une bonne partie d'entre eux ont même décidé de remettre ça pour un an… après, toutefois, une journée dite de « jubilation », où chacun sera autorisé à faire le plein de neuf en son foyer.
Baptisé « The Compact », ce groupe de techniciens, cadres, enseignants ou étudiants californiens expliquent les fondements de leur promesse par un ras-le-bol de la société de consommation qui, selon eux, « détruit le monde » plus qu'elle ne le fortifie. L'initiative, ultralocale, a fait tache d'huile. Trois mille personnes se sont inscrites à leur groupe de discussion lancé sur Yahoo ! Nombreux sont ceux qui y disent avoir (re)découvert les vertus de la réparation et du raccommodage. Ou qui confessent n'avoir finalement pas tant besoin de ce dont ils pensaient ne pas pouvoir se passer.
Le « consommer autrement » ou le « consommer responsable » (voir le guide d'Elisabethj Laville et Marie Balmain « Achetons responsable » Seuil, 2006 ou le site Web canadien Ethiquette) ont le vent en poupe dans nos sociétés d'abondance. (…) Aller vers une vie où l'être prime sur l'avoir, opposer le durable à l'éphémère, le fondamental au secondaire, revenir, en somme, à l'essentiel, voilà le message que sous-tendent la plupart de ces initiatives. Au Québec, on citera encore ce réseau prônant le recours à la « simplicité volontaire » : « une façon de vivre qui cherche à être moins dépendante de l'argent, de la vitesse et moins gourmande des ressources de la planète. »
Depuis Jean Baudrillart, notamment, l'on sait que la consommation n'est pas qu'un acte destiné à combler des besoins, mais représente aussi un lieu d'échanges symboliques : les usagers ne consomment pas seulement des produits, ils achètent tout autant le sens de ces produits, ou leur image, qui, à leurs yeux, peut faire une différence. La consommation permet aussi – et c'est là tout son attrait moderne – de vivre toutes sortes d' « expériences », surtout émotionnelles ; tout bon responsable marketing sait ainsi que notre vie est désormais faite d'une multitude d' « expériences de consommation ». Achat après achat, dit-on, celles-ci pourraient même construire une identité.
Le sociologue Zygmunt Bauman a perçu lui aussi ce changement de paradigme : « Alors que les philosophes, les poètes et les moralistes du passé se demandaient si l'on travaille pour vivre ou si l'on vit pour travailler, le dilemme qui préoccupe nos contemporains se formule le plus souvent ainsi : doit-on consommer pour vivre ou vivre pour consommer ? » Cela paraît si vrai qu'avant d'acheter on souhaiterait pouvoir garder en tête la formule d'André Gide qui voulait que « l'importance soit dans [notre] regard, et non dans la chose regardée » !
Chronique de Jean-Michel DUMAY
Post scriptum : mais il est vrai qu'André Gide avait les rognons couverts, ce qui lui permit de voyager et de ne strictement rien foutre sa vie durant ! Gare à ce que notre décroissance volontaire ne soit – dans notre inconscient personnel et collectif – qu'un luxe d'intellos repus, d'esthètes fatigués ou de vieux bo(no)bos en mal de bonne conscience tribale !