Libertin forcené du fait de son athéisme poussé à son extrême, Sade est acculé à vivre jusqu'au paroxysme l'inexorable loi qui veut que l'objet du désir ne se manifeste jamais que comme trahison du… désir ! Lucidité, dégrisement et vertigineuse fuite en avant… En tout cas, un questionnement aigu pour ma pensée théoclaste encore trop frileuse et ma sexualité bien peu solaire à défaut d'être extrême ! Une chose est sûre, à propos de l'emphatique et tyrannique Désir (sauvé ou vengé par l'imaginaire) : ce qui valait hier pour le cul princier de Juliette vaut encore aujourd'hui pour les queues sublimes de nos Jules, non ? Donc cet aveu en somme très contemporain :

« En vérité, Juliette, je ne sais si la réalité vaut les chimères, et si les jouissances de ce que l'on n'a point ne valent pas cent fois celles qu'on possède : voilà vos fesses, Juliette, elles sont sous mes yeux, je les trouve belles, mais mon imagination, toujours plus brillante que la nature, et plus adroite, j'ose le dire, en crée de bien plus belles encore. Et le plaisir que me donne cette illusion n'est-il pas préférable à celui dont la vérité va me faire jouir ? Ce que vous m'offrez n'est que beau, ce que j'invente est sublime ; je ne vais faire avec vous que ce que tout le monde peut faire, et il me semble que je ferais avec ce cul, ouvrage de mon imagination, des choses que les Dieux mêmes n'inventeraient pas. »

Car c'est l'imagination – commente Richard Blin, dans le dernier numéro du Matricule des Anges [N°79] – qui permet à l'homme de dépasser les limites qu'impose la nature, et de trahir ainsi en lui, un excès insensé. D'où le catalogue de jouissances, de perversions, de désirs, tous plus inavouables les uns que les autres, que Sade soumet au feu des passions et à l'enchantement d'une logique de contes de fées. (…) C'est cela, Sade : une débauche de la pensée, doublée de la volonté de dire ce que personne ne veut entendre : l'intolérable, l'inconcevable, l'inavouable. Car si la nature détruit (tempêtes, tremblement de terre, éruption volcanique…) si l'écart, la cruauté, le mal lui sont consubstantiels, pourquoi en irait-il autrement pour la nature humaine ? Si Dieu n'existe pas, et si le mal est présent dans la nature, tout est donc permis. Et comme pour Sade, il n'y a que des idées incarnées, il va théâtraliser la continuelle surenchère de la tête et du corps, mettre en scène la double épreuve des idées par le corps et du corps par les idées. Fureur du corps, fureur de l'esprit qui, pour Sade, fondent la liberté, une liberté qu'il juge impensable sans ce refus de l'impensable.


Cf. aussi le tout récent essai d'Annie Le Brun, ON N'ENCHAÎNE PAS LES VOLCANS, Gallimard.