Vendredi 8 septembre
Ce matin, dans le métro.
Ligne 9, entre Trocadéro et Grands Boulevards.
Beaucoup de monde, un groupe de touristes suants et volubiles. Nous nous tenons tous debout, pressés, résignés.

Son jeune dos est contre moi, sa cuisse gauche contre ma hanche, l'échancrure de son polo bleu roi à portée de ma bouche qui louche (le garçon n'est pas très grand, et plutôt efflanqué). Ah ! sa nuque… Nuque offerte, au niveau de mes lèvres. Je suis obnubilé par ces quelques centimètres carrés de peau immaculée, à peine grenue, lisse. Comme une plage. Comme un fruit velouté, à peine mûr. Une oasis au milieu des autres corps bariolés et bronzés, d'une vulgarité épaisse. Cette envie soudaine, cette soif, cette voracité de plus en plus impérieuse (je n'aurais qu'à me pencher !). Déposer un baiser sur cette douceur offerte, humer l'odeur tendre et pénétrante. Pas un baiser de prédateur, non, je n'en ai nul envie : juste une caresse des lèvres ; l'hommage tremblant d'un papillon à sa fleur.

Les stations défilent, le terminus approche. Mon cœur bat légèrement alors que mon sexe ne se tient pas calme. J'ai fermé les yeux, j'anticipe mon cadeau. Je les ouvre à nouveau : si nous vivions dans le meilleur des mondes, un monde poétique où la tendresse transfigure la grisaille du quotidien visqueux, j'aurais déjà posé mes lèvres brûlantes… sans hésiter ni différer… j'aurais osé… et il se serait retourné, une action de grâces dans la pupille. Et tous les voyageurs émus nous couveraient à présent d'un regard attendri.

Je n'ai pas osé évidemment et cette attente a été un délicieux tourment, mon épiphanie du jour : juste une oasis de velours cerné par un lagon bleu. Une seule fois (a-t-il senti mon envie magnétique ?) il s'est retourné, à peine, et, même de trois quarts, je l'ai vu sourire du coin de l'œil, juste le temps de mater sa pomme d'Adam émouvante et ses joues glabres (j'aime l'ombre bleue sur les joues des jeunes hommes pâles rasés de frais).

A la station Grand Boulevard, voilà que j'imagine qu'il va descendre après moi, qu'il met ses pas dans les miens, que son projet coïncide en fait avec mon programme : retourner voir à la séance de 11 heures trente, perdu dans une salle de 600 places, la romance qui m'a chaviré le cœur il y a quelques mois : « Le secret de Brokeback mountain ».

Et tout naturellement, seuls au milieu de cette salle immense, livrés au délicieux traquenard du 7ème Art, nous aurions trouvés d'instinct notre place respective dans le noir, tout seuls, comme des grands, sans l'aide d'une ouvreuse vénale. Miracle ! Nous sommes proches : coude contre coude, cuisse contre cuisse, au corps à coeur et, dès la première image des phares trouant la nuit du Wyoming, ma main tremblante aurait... si nous vivions dans le meilleur des mondes ! Evidemment ! Mais mon jeune cow-boy à la peau laiteuse n'est pas descendu de la rame. Je ne me suis même pas retourné en marchant sur le quai, pas attristé ni déçu, heureux plutôt, ébloui, reconnaissant envers ces quelques centimètres carrés de douceur offerte dans les miasmes nauséabonds du métropolitain.

Et je me suis récité mentalement l'un des courts poèmes de mon cher Stéphane Bouquet, prince des poètes :

J'ai devant moi leur jeunesse infinie
leur primeur tient lieu de beauté…