Mardi 12 septembre 2006

Le Net permet vraiment des rencontres inattendues. Une ou deux clics, quelques liens et un visage apparaît soudain, un parcours, une voix… une présence enfouie dans la mémoire et soudain tiède, offerte, à portée de l'index impatient.

Cette nuit, j'ai retrouvé le destin tragique de celle qu'on appelait Sœur Sourire (prénom qu'elle trouvait elle-même ridicule mais qu'un panel d'auditeurs avait choisi. Le show-biz déjà…). C'était dans les années soixante, sa chanson « Dominique » fut 1ère au hit parade en Belgique et ailleurs, et même aux Etats-Unis où elle détrôna Elvis Presley ! J'étais bien jeune à l'époque et, si la fraîcheur de sa voix me séduisait, je trouvais l'antienne un peu niaise (dans les années 60, le verbe « niquer » n'existait pas et aujourd'hui cette chansonnette retrouve un peu de mordant, plus bonbon acidulé que guimauve, n'est-ce pas ?). Malgré son succès, Jeanine Deckers (puisque c'était son nom) restait une jeune femme timide et docile dans son couvent de Fichermont. Simple et souriante, pauvre aussi puisqu'elle en avait fait le vœu et que seules sa communauté et la maison de disques se partageaient le pactole. Mais la musique souvent donne des ailes, besoin d'envol, d'air pur, de lumière… de liberté ! Sœur Sourire sauta par-dessus la clôture en emportant sa guitare et réalisa son rêve de femme : aimer librement Florence qui était thérapeute d'enfants autistes.

Puis elle tenta une seconde carrière artistique sous le nom de Luc Dominique, avec des chansons plus engagées, notamment « La pilule d'or » qui est une ode à la contraception combattue par le Vatican au profit du seul… thermomètre. Un beau scandale mais peu d'audience hélas. Les années passaient, le bonheur entre les deux femmes était toujours au rendez-vous (sur le Net, des images jaunies et émouvantes : elles pique-niquent sur une plage de la Mer du Nord). Le Diable finit par s'en mêler, comme souvent. Le fisc voulut rattraper et saigner la nonnette trop naïve. Des sommes astronomiques encore aggravées par les intérêts cumulés. Mais comment l'ex-sœur Sourire aurait-elle pu s'acquitter de ses prétendues dettes, elle qui n'avait pratiquement pas touché de droits d'auteur ? Piège kafkaïen. Peu d'aide, les portes se ferment. L'alcool et les tranquillisants comme seuls compagnons. D'ailleurs, quand on est « épouse du Christ », c'est le Seigneur le seul Trésor, non ? Et quand on se permet de Le quitter, qu'on se débrouille ! De plus en plus isolées et traquées, Jeanne et Florence choisiront la mort. C'était le 29 mars 1985.J'ai tenu à ce que deux chansons emblématiques de Sœur Sourire puissent être entendues sur mon site (au chapitre de mon nouveau livre IMPOTENS DEUS). En souvenir et en hommage. Rétrospectivement, je me suis retrouvé dans son combat (perdu) pour un peu plus d'air pur dans l'Eglise catholique et à la même époque, moi aussi j'ai pris le large. Ce n'est pas une justification, juste un compagnonnage.

Deux chansons sur mon site donc pour rétablir aussi cette vérité : si sœur Jeanine fut « brûlée aux feux de la rampe » (titre du livre de Florence Delaporte paru chez Plon en 1998), elle mourut surtout d'imbécillité administrative et de froide solitude après avoir été abandonnée et grugée par sa communauté.

Et pourtant… Dans une de ses chansons, Jeanine ne réclamait rien d'extraordinaire :

« Je réclame de mes frères
le droit d'évoluer
de vivre, solidaire,
parmi eux consacrée…
Elle est morte sœur Sourire,
Elle est morte, il était temps ! »