MA SAGESSE DE BASE

(Mes bonnes résolutions)

Au point où j’en suis arrivé (été 2014), après une crise affective violente et surtout un gros travail de réflexion sur moi-même, si je devais résumer en une seule phrase mes points d’attention, j’écrirais : désormais pour moi, si je veux sauver ma peau et adoucir le reste de ma vie, la priorité des priorités, c’est dire oui au présent et au réel – ce qui est équivalent. Fin de l’idéalisme et du romantisme. Ce qui pour d’autres semble évident ne l’a jamais été pour moi depuis 67 ans. Mais aujourd’hui, comme un mirage peu à peu se dissipe dans la brume, tout devient plus net. D’une netteté à la fois lumineuse et aveuglante, donc inconfortable. Car cet acquiescement à ici et maintenant ne va pas de soi et procure une sorte d’ébranlement ambivalent, à la fois cuisant dégrisement et excitation joyeuse ! Je me sens libéré et en même temps démuni. Mais sans cogiter à nouveau : puisqu’il s’agit de réel et de présent, une voie concrète s’ouvre, de mauvaises habitudes à délaisser, de nouveaux réflexes à acquérir. Si possible avec humour et dans une autodérision souriante. Avec aussi ce sentiment de progresser en sortant des sentiers battus : il s’agit bien d’un changement, d’une conversion, d’une metanoia.

Voici les grandes lignes directrices de cette « révolution copernicienne » tirées d’un récent courriel à un jeune ami, le 11 mars dernier. Cet ultime blog pourrait ainsi s'intituler : "Lettre à Rudy".

(…) C'est vrai, Rudy, qu'en toute chose, en toute situation (la conscience de soi, la fidélité à ses valeurs, le couple, le boulot, certaines décisions personnelles importantes à prendre...) il y a une sorte d'ambiguïté : tout n'est pas blanc ni noir. Il y a en nous une sorte de flou artistique, de no man’s land. Parfois, parfois très (trop) longtemps, il faut composer, éviter de trancher, conscient que la colonne des + et celle des - s'équilibre vaille que vaille. Et puis soudain, à un rare moment d'élucidation, ou à l’occasion d’une crise décisive, tout s'éclaire, comme un voile qui se déchire : non, non, ça ne peut pas continuer ainsi, ce n'est pas 'moi' ! Alors on taille dans le vif, on tranche... aïe ! mais c'est pour renaître ou plutôt continuer - autrement.

Personnellement, j'ai connu ce choix, ou plutôt ces choix successifs, d’abord quand j'avais trente ans à peine (quitter le sacerdoce après seulement 5 ans de pratique)... puis au moment de mon mariage (dire ou ne pas dire à ma future-ex que couvait en moi le feu de passions incompatibles avec une union hétéro ?)... puis ma décision de quitter mon patron après de 13 ans de bons et loyaux services sous-payés... puis lors de mon éloignement de O... enfin à propos de mon questionnement sur ma relation (trop) passionnelle avec l'autre O… tout récemment ma décision de mettre fin à mon blog littéraire (Cf. QUAND UN PSEUDO-AUTEUR DRESSE UN BILAN AVÉRÉ, l'avant-dernier Blog qui complète et anticipe la présente réflexion).



Une fois la décision prise, on se sent soulagé mais en même temps un peu mal, disons déséquilibré car on avait appris à combler le douloureux hiatus entre les deux parts de nous-mêmes, à composer, à "faire avec", parfois à faire semblant.

Ceci dit, voici une grave illusion à laquelle il faut, je pense, échapper comme à un mirage : il y aurait une vérité préétablie de chacun d'entre nous, un pedigree idéal gravé dans le marbre de nos gènes. Il y aurait donc une vie à remplir, un cahier des charges à tenir. Progresser, devenir adulte, mûrir serait s'y tenir coûte que coûte, revenir aux invariables plus ou moins trahis sinon négligés. Quelle illusion ! Quel temps perdu ! Pas de prédestination. Pas de Moi idéal préprogrammé à réaliser. La vie s'invente au jour le jour. Notre personnalité (notre sexualité) évolue sans cesse car notre cerveau est étonnant par sa plasticité et son interactivité. En vieillissant - même si on se refuse à pactiser avec l’ambiguïté ou la médiocrité (en soi et autour de soi) - c'est plutôt une pensée rassurante : l'évolution en marche, le droit aux tâtonnements et à l'erreur, la mise à mal et à mort d'un Idéal de soi surévalulé et parfois gravement conceptualisé, surtout quand les mots s'en mêlent (s'emmêlent !) et sacralisent indument le constat de notre Pureté originelle que le Temps aurait écornée ou que les Autres (d'abord maman ?) auraient triturée et déformée !

Excuse-moi, cher Rudy, je n'avais pas prévu de commenter ton long texte ! Surtout pas. Je me suis simplement laissé aller. C'est dire si ta recherche m'a intéressé et stimulé. Merci pour le partage.

Je termine par les quelques points qui suivent, simplement te les proposer. C'est ma "sagesse" actuelle, telle qu'elle est synthétisée dans un petit livre que je recommande à qui cherche et désespère de sa lucidité impuissante et de sa chronique procrastination (André Comte-Sponville "De l'autre côté du désespoir", 119 pages, Editions Accarias, L'Originel, 14,50 €).

Cette "bible" ouverte sur mes genoux, je la feuillette, en notant pour toi, pour moi aussi (bis repetita placent) les points principaux - histoire de réviser. Vois si ça t'inspire, si des harmoniques s'en dégagent :

- Le réel ? C'est devenir ici et maintenant car le présent seul est réel.

- La solution de l'énigme, c'est qu'il n'y a pas d'énigme ! (Wittgenstein)

- Jouir complètement, c'est jouir désespérément. La seule façon d'être satisfait, c'est de jouir tout en comprenant qu'on ne peut l'être.

- Tout est passager, tout est en mouvement. Tous sont différents, chacun a sa propre identité.

- L'angoisse ? La nostalgie ? La macération intellectuelle ? Ce ne sont que des formes du refus, la résistance, la protestation de l'ego devant le fait de l'impermanence. " Pour effacer la tristesse de votre vie, rappelez-vous constamment que tout ce qui vient s'en va."

- Il n'y a pas d'ego heureux ni de bonheur égoïste. Devenir UN, c'est-à-dire se réconcilier avec l'unité de Tout, c'est renoncer aux pièges de l'ego. "Tous les êtres sont autres en réalité, il est donc vain de s'attendre à ce quelqu'un d'autre se conduise comme "je" le désire : c'est contre nature !"

- L'espoir est le plus grand ennemi de l'homme. "Je ne désire rien du passé. Je ne compte plus sur l'avenir. Le présent me suffit. Je suis un homme heureux, car j'ai renoncé au Bonheur." (J. Renard, Journal)

- Le travail de deuil à propos de soi (au sens freudien), c'est le processus adaptation au réel. Dire oui à ses désirs et à leur insatisfaction, oui à soi-même et à ses contradictions, dire oui au RÉEL."

- Le bonheur c'est donc quand je n'espère rien d'autre que ce qui est.

- L'idéal, lui, n'est que refus et mensonge. Le mental toujours nie. Le mental te trahit et crée l'illusion. Il n'y a que des causes et des effets, que des actions et des réactions. Il n'y a que ce qui arrive, toujours changeant, toujours différent." Vous devez être un "oui" sans aucun "non". Il y a EST. Il ne peut y avoir "DEVRAIT ÊTRE"."

- La liberté est le bien suprême mais dans l'acceptation de la dépendance.

- Le sage est un homme d'action. Activité pour tout ce qui dépend de nous ; passivité pour tout ce qui n'en dépend pas.

- Se méfier du mental. "On appelle mental le processus qui fait que l'on souhaite, non pas ce qui est, mais quelque chose d'autre, de différent et de séparé."

- À propos de l'émotion, l'accepter sans la contrecarrer. Car toute émotion refusée s'accroît. Il ne s'agit donc pas d'argumenter, mais de voir et d'accepter. Accepter le réel, quand on peut. Ses émotions, quand on ne peut pas. Accepter son incapacité à... accepter !

- Ne pas faire semblant. Ne pas se grimer le cœur ou l'âme. Ne pas théâtraliser sa vie. S'accepter tel qu'on est. " Accept yourself andbe happy."

- Personne n'aime personne. Chacun n'aime que soi. Et pourtant… La voie, c'est d'aller de l'amour facile (amour passion) à l'amour universel.

- Il s’agit de résister à l'emprise du passé (agissant dans nos émotions). Car le passé insatisfait enserre le présent dans ses griffes. Le passé survit en effet dans le présent comme une cicatrice (qui démange ou irrite) à proportion de nos blessures, de nos traumatismes, de nos frustrations. L'attente (même vis-à-vis de soi, d'un hypothétique Meilleur) ne peut être qu'un effet de la nostalgie, du regret, du ressentiment, du refoulement... On ne tend vers l'avenir (meilleur) que pour fuir ou retrouver ce qui fut. La douleur est première. La perte est première. Il n'y a pas d'autre esclavage dans la vie que celui du passé, réactivé ou fétichisé par le mental effervescent et tyrannique.

- L'ego n'a aucune existence propre. Il n'est qu'un autre nom pour le mental. Il ne s'agit pas de le supprimer mais de l'élargir, de le désenclaver.

La lucidité seule. L'action seule, qui en découle. Rien à espérer puisque tout est là. Rien à croire, puisque tout est à connaître. Rien à refuser, puisque tout est à faire.

Fin du digest ! Vite, Rudy, d'un clic je te l'envoie et de l'autre, je vais préparer un succulent café que je dédie au seul et délicieux Présent ! (même si, ce matin, je suis perclus de douleurs arthritiques à ne pas pouvoir poser le pied). Mais c'est mon Réel. Faire avec. Et comme tout passe... tout casse... tout lasse... tout trépasse...! Demain j'aurai forcément moins mal. Chic !

L'internaute l'aura compris : plus que jamais, pour toutes les raisons (vitales) ci-dessus énoncées, je persiste et signe en confirmant aujourd'hui la fermeture de mon Blog annoncée en février dernier. Et si quelque internaute peut piocher ici ou là dans mes élucubrations un point, un seul, pouvant l'aider à redresser la tête et à réchauffer son cœur, et à se remettre en route... eh ! bien, j'en serais ravi secrètement récompensé, puisqu'il ne s'agit pas de s'absenter ni de s'effacer (peut-être, en ce qui me concerne, me consterne aussi ! échapper au piège de la médiatisation et du zapping !), il s'agit de VIVRE.

Désespoir et courage, confiance et paix : le réel est à prendre ou à laisser.

PRENDS !.


A Boulogne-Billancourt, ce 23 juin 2014.

POST SCRIPTUM le 14 juillet 2014

Silence.
Intériorisation.

Recentrement.

Ascèse.

Dégrisement.

Méfiance.

Confirmation d'une très longue cure d'abstinence médiatique et joyeux abandon de l'écran hypnotiseur.

Recours au rire silencieux devant l'estrade des bateleurs en jeans prolétariens ou en liquettes immaculées.

Mécréance salutaire face aux grands-messes internationales et à la montée des enchères eschatologiques.

Retour au sage de Sils-Maria et, jusqu’au ressassement muet, à son verbe indémodé :

« ''Comme aucune voix neuve ne s'élevait

Vous avez répété des paroles d'autrefois.'' »

Retrait, désintoxication et d'abord clairvoyance devant un tel fatras : exhibition narcissique, phraséologie bouffie, laïus épidermiques... sinistre époque entretissée de prétentions formelles et de néant existentiel que j'ai le premier adulée et servie. Par addiction plus que par orgueil, par ennui plus que par conviction, mes indolentes motivations se renforçant lâchement les unes les autres. Car la Toile éthérée ou la pâte à papier pullulent de Mammons virtuels travestis en nains ergoteurs et en scribes moralisateurs auxquels je me mesurais sottement sans trop y croire vraiment : tous ces Ego autoproclamés et gonflés d'ineptie dont la basse-cour servile bruisse de twets, clips, zapping, podcasts, rumeurs invérifiées, analyses définitives, fuites organisées, déballages tous azimuts, scandales préfabriqués, débats télécommandés, psy show non-stop et fast book indigestes, plagiats, razzias, contrefaçons, égopétitions, autoparodies, pathos surexploité, vérité maquillée, langue estropiée, tirages gonflés, intox, botox, copier-coller, référents éculés, papy Sigmund, mister God et Facebouc qui pue… tout ce dégueulis en ligne ! LOL !! Ras-le-bol !!!! La sincérité en est par avance minée, l'intelligence escamotée, la beauté translookée et même le prétendu retour aux fondamentaux, quand ce ne sont pas les éléments de langage, a quelque chose d’obscène et de frelaté.

Mea culpa.

Mea maxima culpa !

Remords du fils prodigue et retour au Poète qui l'avait pourtant mis en garde : « Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s'il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s'il vous était défendu d'écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit : “Suis-je vraiment contraint d'écrire ? ” Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. »


J'ai creusé, cher Rainer-Maria : dents serrées, cœur cousu, page blanche, j’opte pour l’absence.