... alors que se profile dans le manoir l'ombre de Sade.

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(Extrait) Karl poussa doucement son hôte hors de la chapelle, éteignit les lumières, raccrocha la clé. Ils prirent sur la droite, avançant dans un couloir éclairé par des appliques fixées sur des boiseries, celles-ci sans sculptures. Ils passèrent près de la balustrade en fer forgé donnant sur le hall d’entrée en contrebas. Alban jeta un œil, espérant y voir Titus. L’animal n’était pas là. Il n’y avait pas de couloir dans cette autre partie du manoir mais une très grande porte vitrée, masquée à l’intérieur par un épais rideau. Karl l’écarta après avoir poussé la porte et s’effaça devant son hôte.

- Voici la bibliothèque. Un lieu où tu auras souvent à travailler si tu restes avec moi, précisa Karl en invitant Alban à entrer.

Ce dernier se sentit rassuré. Enfin un lieu normal ! Cette pièce lui rappela la bibliothèque qu’il fréquentait durant sa première année d’études à la fac. Une série de longues tables en enfilades traversait toute la pièce. De part et d’autre, des vitrines où étaient rangés une multitude d’ouvrages. Au plafond, des poutres transversales d’où pendaient des lustres assez sommaires descendant très bas au-dessus de chaque table. Il régnait dans cette vaste pièce une température plutôt fraîche.

- Air conditionné, précisa Karl en voyant Alban frissonner légèrement. Il convient de protéger toutes ces richesses. Il y a là des trésors insoupçonnés, des incunables dont tu n’imagines même pas la valeur. Mais le temps est hélas chronophage…

Alban écarquilla les yeux, ne connaissant pas ce dernier mot que Karl ne condescendit pas à expliquer.

- Précisément, mon plus beau trésor est un trésor de papier. Peux-tu imaginer cela ?! Une alchimie d’encre et de papier, nourrie de la fuite mortifère du temps et enfouie dans l’ombre d’un donjon vosgien ! Non plus chronophage le Temps, chronophore plutôt !!! Comme l’Évangile est, lui, christophore ! Cette similitude, sacrilège j’en conviens, est irrésistible, n’est-ce pas ?

Alban était largué, complètement largué tandis que monsieur Karl s’étranglait dans un petit rire sec quasi diabolique.

- Mais ce trésor, ce 5ème évangile, il n’est pas ici, Alban, tu imagines ! Inconcevable, ici, malgré l’air conditionné. Je te le montrerai peut-être un jour, à condition que tu sois très très sage. (Karl afficha un sourire entendu.) Non, non, impossible de te le montrer, ce serait le profaner… C’est mon talisman, comprends-tu, je l’adore, je le vénère de nuit comme de jour dans son reliquaire précieux. Je le vénère d’autant plus que la terre entière me l’envie, qu’elle m’expédierait dans l’autre monde seulement pour l’apercevoir une fraction de seconde, je ne parle même pas de l’effleurer d’une main sacrilège…

Alban était scotché à la bouche presque écumante de Karl. Il eut soudain une intuition : s’agissait-il de cet objet étincelant qu’il avait repéré dans le bureau de son patron – une sorte de reliquaire ? Plus exactement de son mystérieux contenu. Karl, à présent les yeux mi-clos, se montrait de plus en plus ardent, exalté, comme enivré, tout excité à l’idée de révéler enfin son secret à quelqu’un et savourant par avance ce dévoilement à dose homéopathique comme on expérimente de l’intérieur une très jouissive et très progressive transgression. « On dirait vraiment un dingue ! » pensait Alban, médusé et de moins en moins rassuré.

- Non, personne, tu m’entends, personne en fait ne me l’envie puisque tous ces crétins diplômés, tous ces historiens patentés, tous ces spécialistes dégénérés du Divin Marquis, tous ces tenants de la bonne vieille morale bourgeoise… ils croient tous que le saint Graal a pour toujours disparu, réduit en miettes, calciné par les flammes ! S’ils savaient, tous ces ignares… et c’est précisément ce qui me tue, Alban, me crois-tu ? c’est cela qui me tue et me rassure en même temps : leur ignorance. Et ma solitude : que je sois le seul à savoir… à détenir ici l’ineffable… le seul à m’abîmer devant sa Présence Réelle…là, à quelques mètres de nous ! S’ils se doutaient, tous ces gueux, que Donatien en personne…

- Qui est Donatien ? ne put s’empêcher de questionner Alban, fébrile.

La voix du jeune homme cassa net l’incantation. Karl, comme s’il sortait d’un songe, ou plutôt d’une ivresse cauchemardesque, ouvrit les yeux. Il se mordit la lèvre, plongea un regard inquisiteur dans celui d’Alban, hésita à parler puis revint à des généralités d’une voix à nouveau douce et civilisée, presque neutre.

- Oui, tu as de la chance en fait. C’est presque un privilège de venir dans cette bibliothèque et tu t’en apercevras bien vite si tu…

- Si je reste, je sais ! trancha Alban d’un ton sec.

Il fut soudain agacé par la manière dont son patron relançait sans cesse la question après l’avoir appâté par une vraie fausse confidence qui se terminait en eau de boudin. En fait il était dépité, presque déçu par Karl plus insaisissable, plus énigmatique que jamais. Et toujours ces volte-face exaspérantes ! Quelle sale anguille, ce type !

- Encore une dernière pièce à te montrer… poursuivit Karl sans prêter la moindre attention à la pointe d’impertinence de son futur secrétaire. Le reste, les greniers, les combles, inutile de te les faire visiter aujourd’hui.

- J’aurai le temps si… s’obstina Alban sur un ton cette fois facétieux, imitant son patron.

Karl joua le jeu et éclata de rire.

- Tout à fait ! Si tu décides de rester.


Extrait du Manoir de Merval, thriller psychologique et sexuel, Kindle/Amazon, 2012.


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Une critique sur le Net :

http://www.blue-moon.fr/spip.php?article8804

" C’est un livre étrange et fascinant à la fois, thriller et récit érotique gay, écriture moderne et littéraire, personnages du XXIème siècle ou fantasmes d’un temps passé sortis tout droit de l’imaginaire d’un auteur hors norme. Peut-être un mélange de tout cela tellement vous êtes déconcertés tout le long de votre lecture par cette histoire voire dérangé par certaines scènes et pourtant vous ne pouvez lâcher ce pavé de plus de 600 pages..." Etc.

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Le fameux "rouleau" des 120 jours