Quand l’attachement prend chair, prend feu, fait lien, même éphémère, en tout cas tangible et enivrant dans la succession des instants fous (instinct de l’instant !), que m’importe sa célébration avec la majuscule – l’Amour – sa survie, sa gloire, ses affres, ses héros ; que pèsent pour nous deux Tristan et Yseult, Le Cid et Chimène, Ariane et Solal, Phèdre et Hippolyte, David et Jonathan… qu’importe même le Commandeur vengeur voire la mythique Odyssée qui vit une reine éplorée se consumer d’ennui et d’espoir au point de détricoter, nuit après nuit, le linceul de sa stoïque vertu !

Oui, le temps est venu pour moi de me défier des mots, de les démailler, de les saccager ; je veux étrangler l’Auteur schizophrène qui n’en fait qu’à sa tête, brasse du vent et invente le néant ; « je » n’ai plus besoin ni surtout envie de Littérature comme exutoire ou repoussoir. Plus que jamais, « je » – pas mon double, pas le pseudo, pas le ventriloque professionnel, pas l’Auteur pompeux et trop souvent sentencieux, l’homme tout simplement, le tout petit individu éperdu d’amour minuscule – je me méfie donc de la grande Littérature plus mystificatrice que rédemptrice. En un mot, il s’agit de préférer la prose au poème ou, si l’on veut, le grêle flûtiau au ronflant violoncelle. Sans même parler de l’emblématique bandonéon ! (Même si le pari est déjà perdu puisque le “Je-Auteur” continue de faire des livres, fussent-ils ebooks, et qu’il n’a pas encore osé allumer la mèche sous son maudit blog !) Me suffisent, en tout cas pour cette fois, pour cet été-là, de tout petits textos, des centaines de SMS jetés sur l’écran comme on sème à tout vent : SèmeMSème, S@imeS le plus souvent, parfois SOS ! Ils n’auront jamais, ces petits mots de rien du tout, sans cesse estropiés d’un coup de pouce hâtif, jamais le Prix Vedrarias mais ils reflètent mieux la vie, la vraie vie ; ils la sculptent au quotidien, dans l’instant et le fragment, cette vie frémissante et ordinaire, banale et haletante, empathique plus qu’emphatique, provisoire et néanmoins grandiose de sincérité et d’enthousiasme… ils la diffusent et la perfusent tout en improvisant au jour le jour l’amour minuscule – mon espoir insensé en cet amour minuscule, disons la tendresse au ras des pâquerettes, la confiance bredouillée, et aussi l’humour salvateur et le vertige du sexe, souvent sa trop rare et maladroite exultation entre midinette effarouchée et furieux bonobo, l’un et l’autre partenaire étant gravement atteints de poussette aiguë du côté de l’excitation, l’inhibition, l’effraction, l’évitement, d’inutiles blablas et l’irrépressible crescendo pour aboutir enfin à la basique décharge glandulaire… qui parfois se prend dans les romans pour l’Utopie et la Parousie réunies ! Énergie qui engorge et appelle expansion : refrain bien connu et activité aussi vieille que le monde. Point barre. Tout ça pour ça (bis) ! Le seul conseil du lecteur (rabat-joie) au grand Auteur enamouré autant que mystifié ne serait-il pas alors : tu nous saoules, branle-toi et boucle-la !

Dont acte. L’échappatoire solipsiste n’est d’ailleurs pas exclue quand le dialogue érotique parfois se grippe et déçoit. Il faut bien alors compenser ou se rattraper ! Sauf que l’essentiel est de sauver sa peau, avant la fosse ou l’urne qui nous sont promises, peau contre peau, peaux oripeaux à la fois étranges et étrangères et qui offrent parfois, en se caressant ou en s’abrasant, l’illusion d’unir deux êtres au plus profond en abolissant toute frontière. Allons plus loin : pour l’hypersexuel comme pour l’asexuel, dans la frénésie épuisante comme dans la morne anorexie, le plus urgent n’est-il pas de durer, de sauver les apparences, de gagner du temps ? L’important, ne serait-ce pas en définitive l’amour – la tendresse, plus précisément – puisque le Temps qui passe et efface, si véloce, si cruel, si peu sage et peut-être déjà volage, c’est le temps qu’il nous reste ? Le temps qui me reste. Quand on devient vieux (qui « on », pronom indéfini malpoli ?), quand je deviens vieux, chaque jour un peu plus vieux, donc un peu moins jeune, un peu moins frais, un peu moins souple, un peu moins séduisant, un peu moins bandant etc., je n’ai plus le temps d’être romantique, encore moins lyricognangnan, juste praticopratique. Et j’en suis fier aujourd’hui, sans peur du ridicule ni du qu’en-dira-t-on. Je revendique haut et fort mon appétence, ma double addiction au cul et à la bluette (pourquoi pas à l’Amour profond ? Qu’en dis-tu, chéri ?), oui, je revendique crânement en jouant le je à fond et aussi en montrant les crocs : au nom de quoi les vieux morts-vivants devraient-ils céder la place aux jeunes morts-vivants ? Jeunisme imbécile… Pour le temps qui reste, je veux tout tout de suite : pour l’un, l’amour-passion ; l’amour-amitié pour l’autre ; Philia pour nous trois. Eros dans l’immédiat et Thanatos pour tout le monde !


l_amour_texto_EBOOK.jpgExtrait de L@MOUR TEXTO suivi de TANGER A TOUT PRIX, kindle/Amazon, octobre 2013.

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