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La floraison de cette plante exotique géante vient de faire la une en Belgique au Jardin botanique de Meise. On se bouscule, on s'extasie, on retient son souffle d'autant plus que le prodige ne dure que quelques jours (du 7 au 10 juillet) et que l'odeur est aussi puissante que nauséabonde, une puanteur de gland mal lavé à la puissance 1000 (je n'invente rien). Décidément, me dis-je, la Nature est complètement folle et mon pote a tort d'être jaloux de mon fleuriste et de me faire la gueule ! C'est vrai qu'à force de lire "Charme et splendeur des plantes d'intérieur", le pauvre chéri fait des complexes. Ci-dessous un extrait, juste pour le plaisir de s'initier à la bitanique et méditer la sage et paradoxale devise : "small is beautiful"!

Bon week-end et... bon jardinage.

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" (...) Isidore s’esquive dans une pièce contiguë, sans doute son bureau. Je me suis assis sur un tabouret bas en bambou. Légèrement oppressé. Ma peau moite colle à ma chemise et j’ai dû vite me défaire de mon anorak et de mon pull. Dans quelle jungle irréelle ai-je atterri ? Et pourquoi mon guide tarde-t-il tant à me rejoindre ? Est-ce bien le moment de faire les comptes de la semaine ? A moins qu’il ne bichonne avec amour son fameux prototype d’Anthurium pour m’infliger un cours de botanique ? Mais il n’a rien compris ! C’est la bitanique que je veux qu’il m’enseigne ! Plus que des plantes, c’est de son corps dont j’ai besoin. C’est sa peau qu’il me faut, sa chaleur, sa texture, la gamme infinie de toutes les espèces en voie d’apparition : les nervures de son derme, la roseur de ses paumes, les palmes de ses longs doigts, le cresson de son ventre et de son chef crépu, la cora de son échine, le balafon de son cul, les calebasses de ses fesses, l’œillet noir de son fion, le pétiole de son zob, le fût du baobab, le litchi de son gland, les mangues de ses bourses, l’opalescente sève de son foutre nubien… et ses bras immenses, de puissantes ramures qui m’enserrent à m’étouffer et me bercent comme un frangin.

M’en fous de l’Anthurium ! Tandis que je délire en somnolant déjà, Isidore est entré. Méconnaissable ! Immense et impérial. Il a revêtu un ample boubou d’un vert tendre appétissant. Il s’avance vers moi, portant dans ses mains une calebasse. On dirait quelque envoûtant sorcier exhibant un gri-gri. Ses yeux sont deux charbons ardents, sa bouche charnue découvre un sourire nacré. Il me tend le breuvage.

- A taka nongo, ita ti m’bi !

Je le regarde incrédule. Où suis-je ? A Paris ? A Dakar ? Dans l’arrière-pays Ouolof ?

- Le breuvage de l’Amour, mon frère.

L’officiant me tend le récipient artisanal. J’approche mes lèvres, il fait de même. Nous concélébrons. Du lait de soja ? Peut-être, avec un goût prononcé de muscade et de papaye verte et juste une pointe de pili-pili. C’est frais et légèrement huileux. Je me sens mieux, déjà euphorique. Isidore s’est reculé d’un pas, il m’apparaît encore plus immense. D’un geste ample, il ouvre son boubou qui va béer sur la plante carnivore comme un immense bourgeon éclaté… Déception ! La nudité du jardinier est généreusement voilée par un slip vert pomme, non pas un de ces strings modernes en lycra minimal, non, un slip à l’ancienne, ample, spacieux, avec la confortable poche kangourou frontale, bref, une sorte de barboteuse primitive sans doute soldée chez Tatou à Ouagadougou ! C’est ridicule ? Nullement. Sur ce corps d’ébène si élancé, c’est royal, une ample corolle, un buisson de verdure. La floraison ne saurait attendre.

- Sors-la.

L’ordre a été prononcé posément. C’est la parole d’un expert horticole ou de quelque gourou guidant un rituel. J’approche la main, un rien tremblante. Je me suis agenouillé pour être plus habile, lève les yeux vers l’athlète. Avant d’obtempérer, je ne puis m’empêcher de poser ma main, doigts écartés, contre la poche chaude et gonflée. Impossible de résister, je suis hypnobité, le talisman m’aspire comme un aimant. J’ai agrippé Isidore à l’arrière de ses cuisses, enfoui mon mufle dans la verdure mouvante. Le musc et le jasmin ! Un puissant tubercule roule sous mes lèvres tandis que les billes dociles ballent et dodelinent. C’est brûlant, dur et doux à la fois, instable et (é)mouvant, de plus en plus ferme, de plus en plus consistant…

- Sors-la !

Cette fois, j’obéis à la voix de baryton. J’écarte délicatement d’une main le coton échancré, de l’autre j’extrais la queue, uniquement la tige charnue qui déjà enfle et se cambre. L’énorme sexe a écarté le rideau de scène et fait son numéro avec magnificence. Où va-t-il s’arrêter ? Ce n’est plus une bite, c’est un roc, c’est un cap, que dis-je, un promontoire ! La peau est lisse et brillante, plus douce qu’un satin et de grosses veines gonflent à la surface, enserrant le pétard. À l’extrémité, tel un fanal incandescent en haut du mât, le gland incarnat s’écarquille de plus en plus. Dans cette jungle équatoriale, impossible de nous perdre : altier, impérial, phénoménal, pointe le dard du zigomar. Les roupettes quant à elles sont restées au chaud, frileuses dans la serre. Que dois-je en faire ? Devinant ma pensée, le spécialiste guide le néophyte.

- Dépote les bulbes.

Je m’exécute. Stupeur ! Miracle ! Deux rubis ! Les pendantes sont écarlates, d’un vermillon intense. Isidore les a enduites d’ocre rouge, le même qu’il utilise pour ses bocaux de cactées décoratifs. Le vert du caleçon, le rouge des roustons, le brun de la tige brandie ! Mais oui, bien sûr, tout s’explique, tout s’harmonise : sur la verdure du coton, les bourses extirpées de la poche s’arrondissent en spathe écarlate, cireuse et brillante. Et juste au-dessus, le phallus pointe comme un spadice démesuré. Le voilà mon Amorphophallus titanus! Voilà l’espèce géante qu’Isidore m’a promise, le miraculeux croisement ! J’ai peine à détacher mon regard du prodige exotique aux mensurations exorbitantes. C’est à la fois si fantastique et si poétique !

- Tu vois, Michel, je t’avais promis que tu en aurais la primeur. Que dis-tu de cette inflorescence pourpre ? C’est une espèce nouvelle dans la famille des Aracées. Et j’avoue que depuis que je te connais, mon art a progressé. Je l’ai baptisée "Anthurium Isidorium Phalloïdum".

L’expert part d’un rire tonitruant. Déjà ivre du bonheur opiacé dont il m’a abreuvé, je l’imite sans retenue. Nous voilà à terre. Isidore m’a plaqué contre une natte de chanvre. C’est énergique mais sans violence ; l’Afrique est bien partie, le continent noir me chevauche pour une longue méharée. La calebasse a roulé au sol. Il y reste assez de ce mystérieux laitage qui a aussi des vertus lubrifiantes : tandis que mon fleuriste ahane contre ma croupe en cognant du djembé, son boubou sous mon ventre en guise d’oreiller, mon accueillant calice humecté d’ambroisie s’entrouvre comme un fruit mûr pour accueillir au chaud sa hampe de titan…"

Extrait de "Charme et splendeur des plantes d'intérieur" ebook(kindle) ou opus papier. Ad libitum.