L’un dit : « Tout ce que j’offre à l’un, je ne le retire pas à l’autre. » L’autre confirme : « Telle est aussi ma philosophie personnelle depuis des décennies, mes "autres" ne l'ayant pas partagée ! » Quant au troisième, il attend, il observe aussi perplexe qu’enamouré. Sans le savoir, les trois amants-amis inventent le trouple et, dans la bibliothèque de leurs amours singulières, ils remplacent peu à peu Belle du Seigneur de Cohen par Jules et Jim d’Henri-Pierre Roché. Après l’extrait du premier opus (mon blog du 9 juin et le superbe commentaire d’un internaute), une page aussi sobre que suggestive du second roman qui m’enchante et confirme la petite révolution heureuse à laquelle j’aspire.


Jules_et_Jim_Roche.jpg

« ''Kathe resserra son monde dans la maison et pria Jim de venir vivre tout à fait au chalet. Il eut sa chambrette, mais il dormit avec Kathe. Ils n’avaient pas une heure à perdre.

Kathe avait une grande chambre carrée, avec un lit double, et un vaste balcon-terrasse en bois, bordé d’une balustrade de planches sculptées : là, personne ne pouvait les voir.

Dans la journée, Kathe, Jules et Jim s’y tenaient souvent, côté sombre ou côté soleil, selon le temps. Ils y prenaient des tubs savonneux en éclaboussant largement. Kathe avait des idées japonaises là-dessus : le nu n’est érotique que lorsqu’il veut l’être. Elle prenait à loisir son tub sous leurs yeux – puis Jim, puis Jules, tout en causant. C’était un accompagnement de formes. Jules et Jim vivaient avec leur statue grecque animée, et ils lui en étaient reconnaissants.

- Nous devons, disait Kathe, repartir de zéro et redécouvrir les règles, en courant des risques et en payant comptant.

C’était une des bases de son credo, que Jim partageait et qui les unissait. Jules n’avait rien contre, et rien pour. C’était un spectateur bienveillant et il codifiait à tout hasard les découvertes des deux autres. Il s’amusait parfois à leur sortir un vieux texte grec ou chinois qui disait la même chose qu’eux. « Soit, disait Kathe, mais on l’avait oublié. »

Un jour de chaleur, après qu’ils se furent mutuellement arrosés de brocs d’eau froide, Kathe décida de séduire Jules. Elle alla le trouver dans son coin du balcon, sur son matelas de rafia, s’assit sur ses genoux, mit ses bras autour de son cou, le renversa, tout elle sur lui.

- Non, non, disait Jules.

- Si, si, disait Kathe.

Il devint évident pour Jim qui était à huit pas, dans l’autre coin, qu’elle lui donnait le plus grand plaisir. Jim ne les regardait pas, il approuvait Kathe, il était heureux pour Jules. Il se disait : « Penserais-je de même si je croyais leur étreinte totale ? »

Il y eut un silence. Kathe et Jules recommencèrent à parler, bas. Jules avait l’air confus et heureux.

Un peu plus tard Kathe s’attaqua à Jim. Penché sur les prunelles de Kathe, il s’étonna de ne pas y voir passer, sur leur fond noir, ce que, de tout son être, il donnait à Kathe.

La journée fut calme. Kathe n’eut pas de réactions contre eux. Elle constatait : « Jim n’a rien empêché. Il a confiance en moi. Il n’est pas jaloux de ce que j’accorde à Jules. »

Kathe ne renouvela pas cette fête, cette expérience.'' »

Extrait de JULES ET JIM, d’Henri-Pierre Roché, Folio, pages 108-109.


Fessus_heureux.jpg