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L’affiche du magnifique film d’Alain Guiraudie“ L’inconnu du lac

Illustration : Tom de Pékin (l’objet du délit !)

Prix de la mise en scène, Un certain regard - Festival de Cannes 2013

Queer Palm, Festival de Cannes 2013

Double et triste record pour cette ville cossue de l’Ouest parisien (où je réside à temps partiel) – record qu’elle partage d’ailleurs sans surprise avec la capitale du Roi Soleil : celui de l’homophobie bon chic bon genre et de la censure préventive. Je m’en explique.

Mercredi soir était donc prévue une manifestation à 19h 15 devant l’hôtel de ville de Saint-Cloud pour protester contre le retrait de l’affiche du film L’inconnu du lac (cf. fac-similé supra) jugée offensante et pouvant perturber l’ordre public. Le maire, Eric Berdoati, s’était laissé très volontiers impressionner par une vingtaine d’habitants scandalisés (sur près de 30.000 !) et voulant à tout prix protéger leurs chères têtes blondes de « la culture du vice » (pancarte brandie hier soir devant la mairie).

Évidemment, je fus présent à cette manifestation mort-née puisqu’elle fut dans les faits noyautée par le Front National local. Celui-ci, sur son site, avait appelé à une contre-manifestation, même lieu, même heure, avec sono et porte-voix prêts à l’emploi, et aussi quelques tronches patibulaires de son service d’ordre. Nous autres, pauvres pédés, nous n’avions comme seules armes que notre petite colère, notre légendaire humour et notre touchant amateurisme. Moi-même, qui avais bricolé tout l’après-midi et de manière fort artisanale, quelques centaines de badges représentant l’icône maléfique en miniature, comment aurais-je pu m’imaginer qu’en m’approchant de chaque individu – que je prenais pour un sympathisant –, je tombais le plus souvent nez à nez avec un aficionado du Maire ou, pire, un cerbère du FN ! Je l’ai vite appris à mes dépens. Que n’ai-je pas entendu mercredi soir, le tutoiement étant de rigueur et le mépris ouvertement affiché. Entre autres amabilités : « Dégage de notre ville, vicelard ! », « Vas te faire enfiler ailleurs ! » etc. Je réussis néanmoins à offrir quelques badges et gagnai le petit carré de résistants, entouré, assiégé, vilipendé par une centaine de forcenés qui éructaient à l’envie « Hollande, Hollande, on n’en veut pas ! » et « Un papa, une maman etc. » Je parvins vaille que vaille à haranguer les nôtres, serrés sous un parapluie arc-en-ciel ; à les inviter à scander à pleins poumons « À bas la censure ! À bas la censure ! » puisque tel était le mot d’ordre de la manif qu’on était en train de nous voler. Car à l’évidence, ce n’était pas le même mot d’ordre ni le même combat et l’affiche n’avait été, pour les braillards, qu’un prétexte commode afin de déverser sur nous leur tombereau de haine et de rejet viscéral. Bref, nous, les opposants à la censure, nous étions bel et bien tombés dans un guet-apens.




Ici un avis sans concession : il est facile de lancer l’idée d’une manif (par exemple sur le site de S.O.S. Homophobie où j'ai bien lu et relu l'invitation) puis d’aller mercredi soir siroter tranquillement son apéro dans son loft parisien la conscience en paix et en laissant les militants locaux se débrouiller. Si nous avions été plus nombreux à Saint-Cloud, devant l’hôtel de ville, plus motivés, mieux organisés, nous aurions pu équilibrer les forces et faire entendre notre voix. C’est ainsi que nous avons vécu à l’envers les deux alexandrins fameux : Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort / Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. Nous, nous étions à peine trente dans une marée de haine… Ceci dit, ami lecteur qui me lit (toi, oui, toi, où étais-tu ?), j’en conviens avec toi : que faire précisément face à la haine déchaînée ? Que répondre à l’homophobie décomplexée ? Comment résister au rejet avalisé en haut lieu ? Sans peur et sans reproche, prenant plusieurs fois quelques risques avec mes badges en technicolor et mes coups de gueule passionnés (mais mes lunettes ont résisté ! Merci Messieurs les Flics nombreux et omniprésents) bref, pour la première fois de ma vie – quel grand naïf ce Bellinus ! – je l’ai ressentie, la haine homophobe ; le l’ai palpé, le rejet méprisant ; je l’ai subodorée, la supériorité des bien-pensants et des hétéronormé(e)s.


Pour me remettre de mes émotions,
ci-dessous un dessin gentiment offert le 14 juin au matin
par le jeune et talentueux dessinateur de presse
Romain Boussard.

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Un moment, je tentai de dialoguer avec quelques saintes femmes, une poignée de clodoaldiennes coincées (à ne surtout pas confondre avec les clitoridiennes libérées). Elles s’étaient regroupées sous leur bannière : « Non au porno ! Protégeons nos enfants. » En vain je tentai de leur prouver que l’affiche du film n’était pas pornographique, qu’il faudrait à leurs mômes une loupe pour détecter le détail obscène qui les révulsait, qu’il n’y avait pas de hiérarchie naturelle ni dans les diverses sexualités ni dans les orifices utilisés etc. Peine perdue. Toujours la même rengaine : « Et pourquoi pas la zoophilie ? » Ces dames avaient la vérité, pardon, la Vérité pour elles, leurs marmots en étendards, leur éthique comme viatique et je fus sidéré par leur argumentaire aussi simpliste que péremptoire et ainsi résumé quasiment texto : puisque les pratiques homosexuelles sont minoritaires et odieusement infamantes (la fellation ? Pouah !), qu’elles soient déclarées hors cité et pourquoi pas hors la loi. Un petit vieillard, au bord de l’apoplexie, s’est d’ailleurs joint à elles et m’a dit : « Moi, monsieur, je défends la Pureté. » (C’est moi qui retranscris ici la majuscule tant il y avait sur la face outragée de cet horrible petit vieillard chiffonné une Vertu cardinale à préserver et une sainte et unique et catholique et apostolique Vérité à défendre). Si ma chère Florence ne m’avait pas retenu pour me sauver d’un mauvais coup, voici ce que j’avais juste envie de lui crier : lâche-toi, pépé, pète un coup, sors ta bite et arrête de faire chier le monde ! C’est vrai, après tout, ça fait du bien d’être vulgaire et de trucider les cons.


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L’église et la mairie de St Cloud (photo prise le 13 juin, au retour du travail)

Retour au calme. Retour surtout à Monsieur le Maire. Il fut bien sûr ovationné par ses troupes mais se garda bien de paraître. Il n’en est d’ailleurs pas à sa première tentative d’intimidation vertueuse puisque en novembre 2012, le sieur Berdoati inonda gratos toutes les boîtes aux lettres de ses administrés d’une longue et imbuvable épitre (fac-similé infra de sa déclaration d’intention). À l’époque, je m’étais étonné d’une telle croisade et lui en avais fait part : « J’ai pris connaissance avec surprise et consternation de votre long document concernant le « mariage pour tous » et les prétendues menaces que ce projet ferait courir à notre société. Faut-il que le péril soit grand pour mobiliser (détourner) votre zèle d’édile et toute votre énergie dialecticienne pour tenter d’éteindre l’incendie et en prendre à témoin chacun de vos administrés ! Ayant moi aussi réfléchi au sujet – sans bénéficier d’un aussi impressionnant mailing– je me permets de porter à votre connaissance cet extrait d’un document que je viens de publier. En tant que citoyen, ex-prêtre et homoparent, il me semble que mes compétences – surtout mon expérience – valent bien les vôtres, en tout cas que ma joyeuse impertinence équilibre votre pesante épître. Etc. ». Monsieur Berdoati a-t-il lu mon document ? J’en doute. En tout cas, nulle réponse. Répondra-t-il à mon courrier de mardi dernier, juste avant que n’éclate l’affaire ? Rien de moins sûr. Si « Les pédés à la marge » semble bien être l’un de ses slogans favoris, je crains que le second ne soit : « Courage, fuyons ! »

Mais il faut savoir raison garder, comme on l’ânonne si souvent sans la garder, précisément, cette maudite raison. Bien que falot et sans charisme particulier, le Maire de Saint-Cloud n’est ni un réac ni un homophobe. Plutôt ouvert et tolérant si j’en crois la rumeur. Dont acte. Mais quand, à propos de l’affiche censurée par ses soins, il se retranche derrière la préservation de l’ordre public, il y va un peu fort et nous prend tous pour des gogos. Une décision purement technique en quelque sorte… Circulez, à Saint-Cloud il n’y a rien à voir. En fait, et même s’il ne s’en est pas rendu compte avant (et c’est très grave de la part d’un homme politique responsable), il s’agit bel et bien d’une censure flagrante qui est davantage politique que culturelle. Une censure qui vise à imposer ipso facto un certain ordre moral, une certaine norme dominante. Cette censure municipale stigmatise d’une manière plus obvie que subliminale une forme d’amour dont on interdit la visibilité et la promotion (l’arrière-plan de l’affiche a bon dos !). Une nouvelle fois, à rebours de l’Histoire, Monsieur Berdoati renvoie les homos « au placard » ; sous couvert de l’ordre public, il stigmatise certains de ses concitoyens – certes minoritaires – en raison de leurs préférences sexuelles qui ne sauraient accéder ni à la noblesse iconographique ni à la promotion de l’affichage urbain. Tout en s’en défendant vertueusement, Monsieur Berdoati conforte et légitime ainsi les attitudes homophobes les plus extrémistes quand ce n’est pas la minorité bruyante du FN local qui s’est réclamé ouvertement de son patronage et a affiché bruyamment son soutien. La raison qui fonde la décision de Monsieur Berdoati concerne bel et bien l’homosexualité. Honte à lui. Honte à son conseil municipal soumis. Honte à la centaine de Clodoaldiennes et Clodoaldiens qui, en soutenant implicitement l’Ordre de la Vertu (hétérosexuelle) et de la Vérité (chrétienne) contre tous les galeux et les dissidents de l’Amour, ont fait preuve le 12 juin 2013 d’intolérance et de refus de l’égalité des droits – alors même que la Loi Taubira a été votée et bien votée.

Juste un petit rappel historique. Après, c’est promis, je me calme et me remets de mon écœurement et de mon désamour pour Saint-Cloud, ancienne « ville impériale ». Quand, en 1955, Rosa Parks s’est entêtée dans un bus à ne pas céder sa place à un Blanc, devait-on la condamner ou la lyncher sur-le-champ sous prétexte que son attitude provocatrice était de nature à susciter des réactions violentes ? À troubler l’ordre public ? À faire boule de neige (si j’ose dire) ? On sait ce qu’il advint ensuite… Comparaison n’est pas raison. Je sais. Il n’empêche, et ce sera ma conclusion, ce qui fait le plus défaut à certains Français, édiles ou non - alors que la peur de l’avenir les submerge et les paralyse - c’est le sens de l’Histoire. Or, la culture l’emportant nécessairement sur la nature, l’aventure humaine va toujours de l’avant, forcément, généreusement, irrésistiblement, sans s’attarder avec la nostalgie d’hier ni s’émouvoir des vains combats d’arrière-garde.

Donc je respire et garde confiance.


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Fac-similé de l’invitation du Maire de Saint-Cloud à lire son tract (novembre 2012)

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Une de mes photos prise lors de « notre » manif à Paris.


LA VIDÉO ci-dessous rend compte de l'ambiance : arrogance haineuse de la majorité, bravoure des jeunes qui n'ont pas leur langue dans la poche (et mes auto-collants sur leur front sont décidément très jolis !)

http://youtu.be/rUMpFdCdblk