LE LOUP ET LE CHIEN
Par Michel Bellin le jeudi 2 février 2012, 08:40 - Lien permanent
Tu seras bien toujours le même, mon pauvre Bellinus !Comment ! On t'offre une place de chroniqueur à Paris dans un journal de droite, et tu as l'aplomb de refuser... Mais regarde-toi, malheureux garçon ! Regarde ce pourpoint troué, ces chausses en déroute, cette face maigre qui crie la faim. Voilà pourtant où t'a conduit la passion des belles rimes ! Voilà ce que t'ont valu des années de loyaux services sur les pages de ton site ou encore sur la plateforme YouScribe qui ne te rapporte pas la moindre clopinette... Est-ce que tu n'as pas honte, à la fin ? Est-ce que, soumis à ta Muse, tu n'en rabattras pas de ton maudit orgueil et de ta pseudo indépendance ?
Fais-toi donc chroniqueur, imbécile ! Fais-toi chroniqueur au Figaro Madame ! Ecris aussi des best-sellers, des histoires d'espions et d'extra-terrestres, et surtout, surtout, des bouquins résolument hé-té-ro-se-xu-els ! Tu gagneras de beaux écus à la rose, tu auras ton couvert au Grand Véfour, et tu pourras te montrer les jours de première avec une plume neuve à ta barrette...
Non ? Tu ne veux pas ?... Tu te marres en singeant Gallimard ! Tu prétends rester libre à ta guise jusqu'au bout... Eh bien, relis l'illustre fable et sois heureux ou dépité, c'est selon !
LE LOUP ET LE CHIEN (*)
Un Loup n'avait que les os et la peau ;
Tant les Chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers.
Mais il fallait livrer bataille
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
Il ne tiendra qu'à vous, beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d'assuré, point de franche lippée.
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin.
Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiant ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse.
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé :
Qu'est-ce là ? lui dit-il. Rien. Quoi ? rien ? Peu de chose.
Mais encor ? Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? Pas toujours, mais qu'importe ?
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
Jean de LA FONTAINE
(*) Les sources de la fable sont Phèdre (III,7)(traduction Sacy) qui s'inspirait lui-même d'Esope (Névelet).
Illustration de Granville