Étant un pédé fier de l'être et heureux, j'ai toujours du mal à comprendre et à admettre qu'un individu normal puisse se déclarer homophobe. Je ne parle évidemment pas de cette homophobie refoulée et intériorisée – sans doute la pire, la plus dévastatrice pour soi-même et autrui – mais de cette exécration bravache, sans nuances, tonitruante dont certains (rares) individus osent encore se targuer et se parer. Il y a, me semble-t-il, chez ces êtres grossiers et antédiluviens, une sorte de monstruosité et d'irrationalité fascinantes. Parfois, n'y tenant plus, ces meurtris de la normalité passent à l'acte et cassent du pédé tant leur haine viscérale se mêle en eux à une souffrance aussi insupportable que dévastatrice. Malgré tout, on peut comprendre un homophobe, tenter de lui expliquer ou de le raisonner ; mais l'homophobie, elle, reste en soi un mystère, un anachronisme, une aberration. La véritable dépravation. Et sans doute une perverse volupté.

Eh bien, je suis sarkophobe comme d'autres sont homophobes. Un sarkophobe non pas refoulé ni intériorisé, mais déclaré. Sauf que je ne suis pas encore passé à l'acte et que je tente de me soigner. Sarkophobe donc, bien avant la campagne électorale de 2007. Depuis longtemps. Depuis le Ministère de l'intérieur et même avant. Avant Neuilly. Depuis toujours, en fait, même si une allergie politique ne peut être génétique alors que le milieu (la droite) est dangereusement porteur. Avec la présidence qui s'achève, les choses pour moi se sont aggravées – pour les Français aussi je le crains. Et comme je ne suis pas tombé de la dernière pluie, je ne crois plus aux contes qui charmèrent mon enfance quand le vilain caneton honni et vilipendé devenait un cygne immaculé.

Tout, dans ce personnage, absolument tout m'horripile, me dégoûte, me consterne. Ce mélange caricatural de Joe Dalton, d'Iznogoud et de Speedy Gonzalès – entre princesse de Clèves snobée et Paloma courtisé – tout m'est apparu d'emblée vicié à la base, trop typé, trop énorme, trop accablant pour un seul petit Nicolas qui a dû être au départ pas plus insupportable que n'importe quel autre môme, sans doute plus doué que la moyenne et plutôt attendrissant avec ses tics et ses mimiques. Mais comme beaucoup d'adultes, les choses ne se sont pas arrangées en grandissant, elles se sont même gâtées, surtout sous la loupe impitoyable des médias et au contact des nouveaux riches, des financiers véreux et des Grands de ce monde que d'aucuns disent fascinants et fréquentables.

Je suis donc devenu de plus en plus sarkophobe, presque à mon cœur défendant. C'est comme la Gay Pride, trop c'est trop et la répulsion larvée en est comme fouettée et débridée. Le poste de Président de la République occupé par Sarko 1er a eu pour moi cet effet catalyseur et dévastateur, même si j'essaie, je l'ai dit, de me soigner. Mais ça ne marche pas. Rien n'y fait. Le mépris et la haine me minent – le premier plus que l'autre. C'est réactif et instinctif. Bien sûr, je me dis qu'il doit exister un autre homme en privé, ami fidèle, père dévoué et gentil mari. Mais là encore, tout de suite, c'est l'autre qui revient au pas de charge et saccage mes bonnes résolutions, Sarko l'Arsouille, claudiquant et verbeux, fieffé menteur, boss brouillon et diviseur de Nation. Le seul fait d'imaginer – et cette fois c'est de moi dont j'ai honte, pas de lui – quelques coups de reins désordonnés sur le corps de la Belle… cette vision me renvoie derechef à ma vieille (hétéro)phobie, provoque un effroi, un recul, un spasme de dégoût qui incendie mes invectives les plus furibardes contre l'Amour éternel et la marâtre Nature ! Je suis décidément bien atteint.

Et voilà qu'aujourd'hui, la crise, pardon la Crise majuscule, au lieu de m'apaiser, de me rendre indulgent, d'adoucir à mes yeux la Bête politicienne, l'accable et l'impacte davantage, à mesure qu'elle devient plus impuissante et presque pathétique (on murmure même que dimanche soir le futur ex-souverain versera en mondovision quelques larmes de crocodile!). Eh bien moi, sans même voir le vrai-faux candidat, lorsque j'entends dans le poste sa voix demandant aux Français qu'il a davantage ridiculisés que déçus des efforts et des larmes, encore et toujours car l'heure est grave, se hissant sur ses talonnettes, secouant ses épaulettes, tellement à l'étroit dans la posture et le costume gaulliens qui accentuent chez l'imitateur d'opérette le grand écart et déjà la disgrâce… alors là, je n'en peux plus, je souffre, j'étouffe, je craque, je vais passer à l'acte… C'est excessif, je sais, irrationnel, puéril, injuste, raciste, sexiste, tout ce que l'on voudra ! « C'est ». Oui, une fois encore, j'avoue ici ma tendance honteuse : sarkophobe je suis, viscéral et primaire, et fier de l'être jusqu'à en être taré, obsédé jusqu'à tomber malade, déterminé jusqu'à devenir régicide si nul ne retient mon bras.

Et en même temps raisonnable, raisonnablement patient et charitable. Car mon seul remède, je l'ai bien compris, ne viendra plus désormais de mes bonnes résolutions chrétiennes, ni de ma volonté bandée par la méthode Coué, ni même de ma lucidité éveillée au contact des éditorialistes posés, des sondeurs confiants ou des politologues froidement objectifs. Non, ma guérison ne pourra venir que d'un transfert symbolique et d'un passage à l'acte sublimé. Tout comme un pédophile devient Pape et un J. Edgard pourfendeur de bolcheviks ! Dès lors, mon viatique, c'est mon pronostic : à la fin du printemps 2012, mon plus cher ennemi, ex-1er flic de France ou néolibéral mondialiste, peu importe le label, peu importent les manœuvres de la dernière chance, les promesses ou les volte-face, bref, le candidat de l'UMP (Union de la Minorité Pétocharde) ne parviendra même pas au second tour des élections présidentielles en France. (Mais s'agit-il bien du même homme - cet Homme Rose tapi au fond de moi qui me ressemble comme un frère et que j'adore haïr ?)

Qu'importe, la survie avant tout. Tel est mon diagnostic. Telle est la voie de ma guérison. Tel est l'unique protocole envisageable. Mais au point où j'en suis, très affaibli et miné par le sarcome de Sarkozy, plus insidieux et plus redoutable que le chikungunya et le H5N1 réunis, je ne suis pas certain qu'il me reste assez de joie pour espérer et surtout la force de combattre avec les autres…