Tous ces jours, je réfléchis à cette entité, magnifiée autant que manipulée, depuis l'extrême droite jusqu'au front de gauche en passant bien sûr en plein cœur du centre mou. Du coup, je me sens de moins en moins Français, disons pas Français au sens où ces messieurs-dames l'entendent. Car il ne faudrait tout de même pas prendre des Messie pour des lanternes ni la Patrie pour une vieille baderne ! Une seule phrase a d'ailleurs suffi à m'échauffer la bile et à mettre le feu aux poudres : « Je veux être aux côtés de Nicolas Sarkozy pour faire gagner la France. » Bravo ! Bravissimo ! La double déclaration d'amour de Christine Boutin est noble, pompeuse, gravée comme une médaille (miraculeuse) mais, désolé, Madame, votre postulat est aussi présomptueux que fallacieux. « Faire gagner la France » ? Mais de quelle France parlez-vous ? Quand bien même le futur ex-Président prétendrait l'incarner et la reconquérir – il ne le pourrait en aucune façon puisque « la » France n'existe pas. Seulement une idée de la France, la sienne et celle de son clan. Pas plus d'ailleurs que les Français n'existent ; juste quelques Français minoritaires ou majoritaires (dont se repaissent les sondeurs). Ainsi, ne vous en déplaise, pour se refaire une virginité politique, on n'engrosse pas une entité patriotique. Sinon, on s'enfonce voluptueusement ou non dans le syllogisme mais c'est aux dépens des citoyens qu'on cocufie au son des Te deum et de la Marseillaise.

En ce qui me concerne, c'est du seul fait de l'hérédité et du plus pur hasard que je suis né il y a 65 ans en Savoie, cette région qui ne devint terre française qu'il y a un siècle et demi. Quelle chance j'ai eu ! Mais aujourd'hui, je me sens suffisamment enraciné en moi-même pour pouvoir me transplanter à peu près partout ailleurs puisque le monde est mon quartier et l'humanité mon terreau plus que mon terroir. Evidemment, je ne pourrais pas me faire Norvégien ni Emirati à cause de la rigueur climatique. Pas plus que je souffrirais de planter ma tente en Corée ou en Israël, à cause du stalinisme éclatant de l'une et du colonialisme sournois de l'autre ! Il y aurait pour moi quelques autres destinations, plus ou moins exotiques, difficiles sinon impossibles, surtout à cause d'un déficit de civilisation, n'est-ce pas Monsieur Guéant ? Me reste donc pour le moment, loin des Barbares, mon lopin boulonnais, ce petit bout de planète qui bénéficie d'un climat modéré et d'une certaine douceur de vivre. Mais mon cœur ne battra jamais pour « ma » France seulement ici pas plus que je ne me battrai ailleurs pour elle et ses prétendues valeurs. Car plus les années passent, plus les bateleurs patriotes se succèdent bruyamment sur les estrades – au même moment où les cultures se métissent et m'enrichissent tous azimuts– plus je constate que l'inflation nationale rime avec le rapetissement hexagonal et tambouille politicienne avec agonie citoyenne.

La France ! La France ! Quelle France ? Où y-a-t-il une France à sauver ou à reconquérir sinon dans les tracts du Figaro Magazine et le pieux ralliement de Madame anti-Pacs ? Comme pour la musique, je choisis la world politic. Car le seul quatuor qui titille mon cerveau et enchante mon âme, c'est une formation internationale développant ostinato ces 4 mouvements : Liberté – Égalité – Fraternité – Laïcité. Voici la seule patrie universelle que je revendique ici ou au loin et je suis prêt à me délocaliser pour le prouver, je suis même disposé à m'expatrier pour éprouver ailleurs dans mon cœur cette France de partout et de toujours, et prêt aussi à combattre pour son universalité et sa pérennité car, en tant que telle, leur France, celle des surenchères politiciennes, celle des compétitions présidentielles, celle des sainte Nitouche judéo-chrétiennes et des démagos bleu-blanc-rouge, franchement et définitivement, oui, à quelques heures du moment inattendu et très solennel où le Petit Nicolas va demander la main de France, moi, de cette France-là, je n'en ai rien à cirer et la lui laisse bien volontiers !