Si je voulais écrire un hexasyllabe de mirliton, je dirais : « J'exècre le hight-tec autant que la pastèque. » Ce qui est littéralement exact : je déteste le faux melon autant que la musiquette compressée sur… comment disent-ils déjà… i-phone ? À moins que ce soit iPad ? Je m'en tape. Avec une nuance. Je ne retiens de la modernité que l'invention décisive. Par exemple, le CD plutôt que le microsillon qui gondolait, crachotait ou se rayait. L'arabica en capsules plutôt que l'infect café dilué. Et la liseuse (dont je tairai pudiquement la marque) plutôt que le livre papier.

Eh bien, non ! Je rectifie. Je n'abandonne, je n'abandonnerai jamais, j'en suis sûr, le livre papier (même si j'ai décidé de mettre désormais en ligne les six titres de mes autoéditions sur le site YouScribe. (Là, pas folle la guêpe, je donne carrément le nom de la plateforme littéraire car 5 téléchargements sur 6 sont payants, à un prix d'ailleurs tellement dérisoire que les opus sont carrément offerts. Mais, pour un auteur-loser, surtout par temps de crise, il faut bien survivre.) Je reviens à ma démonstration : à la maison, je veux dire dans ma chambrette, je ne dévore que du papier, tel un souriceau (plutôt qu'un vieux rat) insatiable. Par contre, dans le métro ou le train de banlieue, soit environ deux heures par jours, je ne lis que sur ma providentielle liseuse, une sorte d'agenda noir élégant et léger qui ne quitte plus ma besace.



Je m'installe au fond de la voiture, près d'une encoignure, et là, je m'isole (« Tout soldat qui s'isole se masturbe » dirait plaisamment l'Ami libyen), je m'isole donc des bipèdes et des gueux pour m'abandonner à mon vice salutaire (le second) : la lecture. Cette liseuse est un petit outil magique qui est devenu pour moi une sorte de compagnon, de marotte, de doudou affectueux. Dans les effroyables transports en commun parisiens, ni solitude ni ennui ni dégoût, me voilà en douce compagnie. J'ouvre la liseuse à la bonne page (que j'ai précédemment marquée d'un signet électronique) et c'est parti ! Avec Hugo, Baudelaire, Flaubert, Nietzsche… Car, précision importante, je ne télécharge – gratuitement – que les auteurs qui sont entrés dans le domaine public. Autant dire les piliers de la littérature. Les autres, les modernes, les petits, les insipides à la mode, les « tendance » tout aussitôt démodés, et même les Goncourt de mes deux après-demain oubliés, toutes ces alléchantes et consternantes modernités qu'il faut télécharger presque aussi cher que les best-seller en cellulose, je m'en moque, je les méprise, je m'en contrefous ! Non seulement technophobe mais publiphobe : car la pub m'annonce par exemple que, dans ma liseuse, je peux désormais télécharger 4000 opus ! Formidable, non ? Pourquoi pas 10000 ? Mais à quoi bon puisque je ne pourrai en lire qu'un centième à peine et que je serai peut-être mort tout à l'heure… d'une épectase ou d'une overdose littéraire !

Ce qui est décisif, c'est que je n'ai plus besoin d'emporter trois ou quatre bouquins pesants et encombrants. Ce matin par exemple, c'est l'ami Charles que j'avais envie de retrouver, une des ses fleurs vénéneuses que j'avais besoin de humer. Tout à l'heure, ce sera Victor à la barbe fleurie que je suis impatient de retrouver, l'auteur pas la barbe, en compagnie de tous les héros de son formidable roman métaphysique. Et demain, ce sera mon chapitre préféré de « Madame Bovary » que j'ai enregistrée à la bonne page. Je peux aussi, si je veux, consulter un mot du dictionnaire ou annoter une citation qui me plaît. (Même si je préfère me citer moi-même pour donner du piment aux conversations !) Dico ou fluo, je n'ai jamais tenté l'une ou l'autre des opérations. Trop pressé, trop avide. Plus que tout, je crains la distraction. Car dans la lecture, ce qui m'enchante et me grise, c'est d'aller de l'avant, de dévorer des yeux, parfois de me goinfrer l'âme, de compatir, de rire, de protester … alors, vraiment si c'est trop beau, si le style vient de m'éblouir, si un mot me monte au cœur : Encore , d'un clic alerte, je reviens en arrière et je reprends l'enchantement où je l'avais laissé. Par ailleurs, même quand le soleil tape sur la vitre, nul souci : l'encre magique (je n'essaie même pas de piger le nouveau procédé) m'assure une lecture toute en douceur, dans la police et la taille de caractères que j'ai élues.

Je dois maintenant, ami(e) internaute, te parler d'un autre avantage décisif qui….............. excuse-moi, c'est l'heure, l'heure de partir au boulot et j'y cours le cœur léger et les pupilles en feu : Racine m'a donné rendez-vous sur la ligne 9 à la station Bonne Nouvelle !