Parfois, en le contournant, une vague pensée moralisatrice me tourmente et m'apaise lâchement : « Peut pas bosser comme tout le monde ! Pas handicapé pourtant... » Ce samedi matin, en lui offrant généreusement un trentième de mes courses, je voulais, sans doute inconsciemment, consoler ma tristesse par un brin d'altruisme. C'est raté. Sa propre tristesse hagarde a aggravé la mienne. Son pauvre visage ravagé (ça, c'est une preuve !) que je n'avais jamais entraperçu et qui m'a soudain bouleversé… Est-ce ainsi que les hommes survivent ? La vie ! Qui n'est pas triste ni absurde ni interminable ni ceci ni cela. La vie « est » tout simplement. Mais il est des matins d'automne, froids et lugubres, où l'on voudrait qu'elle ne soit plus. Tout bonnement. Pouvoir l'effacer… pouvoir s'effacer… d'un seul regard nu devant l'enseigne de Monoprix qui affiche en grande pompe ses « 9 jours de promo ». Tu parles… Courage, fuyons et pour compléter ma piteuse obole, pour me faire à moi-même l'aumône dont j'ai tant besoin ce matin alors que je ne manque de rien, il ne me restera peut-être tout à l'heure que le réconfort de Beethoven. Mais l'adagio de sa lumineuse Frühlingssonate parviendra-t-il à ensoleiller mon âme… la sienne… pauvres bipèdes solitaires frôlés sur le macadam dans l'instant hâtif et vain d'un seul regard mort-né.


http://youtu.be/cmuNr7yqapE