FRITURE
Par Michel Bellin le mercredi 5 octobre 2011, 14:24 - Lien permanent
Souvent lorsque mon maître-queux s'affaire aux fourneaux (samedi dernier, c'était un saint-pierre goûteux et raffiné), juste avant de passer à table, je lui pose cette question stupide : « Et celui-là, sa peau se mange ? » Parfois oui, souvent non. Francis Ponge ne connait pas ce genre de précaution. Oui, dans ses mots, la peau grillée à l'huile d'olive se déguste…en même temps que les flots, les ouïes, les odaurades et le petit phare de vin doré dressé sur la nappe ! Car pour le Poète, les moindres choses, toutes les menues choses sont douées d'une existence autonome et son œuvre (« Le Parti pris des choses », publié en 1942) en livre une célébration objective et inventive, minutieuse autant que savoureuse. C'est trop bon !
PLAT DE POISSONS FRITS
Goût, vue, ouïe, odorat... c'est instantané :
Lorsque le poisson de mer cuit à l'huile s'entrouvre, un jour
de soleil sur la nappe, et que les grandes épées qu'il comporte
sont prêtes à joncher le sol, que la peau se détache comme la
pellicule impressionnable parfois de la plaque exagérément
révélée (mais tout ici est beaucoup plus savoureux), ou (com-
ment pourrions-nous dire encore ?)... Non, c'est trop bon ! Ça
fait comme une boulette élastique, un caramel de peau
de poisson bien grillée au fond de la poêle...
Goût, vue, ouïes, odaurades : cet instant safrané...
C'est alors, au moment qu'on s'apprête à déguster les filets
encore vierges, oui ! Sète alors que la haute fenêtre s'ouvre,
que la voilure claque et que le pont du petit navire penche ver-
tigineusement sur les flots,
Tandis qu'un petit phare de vin doré - qui se tient bien
vertical sur la nappe - luit à notre portée.
Ci-dessus, menu du soir à Fujairah (2009)… mais ce n'était ni du saint-pierre ni du muscadet !
(Quel(le) internaute pourra préciser dans son commentaire de quel poisson il s'agit, sans nul doute pêché dans l'Océan Indien ?)