SUPPLIQUE DU PÉDÉ
Par Michel Bellin le mardi 11 octobre 2011, 06:36 - Lien permanent
Cette lettre à Dieu, j'aurais tellement aimé l'écrire ! Un texte de rebelle à la fois sacrilège et d'une folle sensualité. Elle fut écrite par un certain Claude H., sophrologue et psychanalyste aujourd'hui décédé. (L'initiale, c'est de ma part un lâche ménagement vis-à-vis de la grande famille bourgeoise coincée.) Mon ami Denis, qui a bien connu cet homme et l'a sans doute aimé, m'a passé hier soir le manuscrit à demi effacé. « Pourras-tu, Michel, me le mettre au propre ? J'y tiens beaucoup. » Et le vieux comédien de me réciter d'une voix vibrante cette supplique pleine de flamme et de douceur, de foi et de colère. Oui, Seigneur, si vraiment Tu existes, je T'en supplie, avec tous les pédés de la terre :
Laisse encore sur mon sein
Mon amant reposer
Laisse à ceux qui ont faim
Quelques miettes tomber…
Laisse encore sur mon sein
Mon amant reposer
Laisse à ceux qui ont faim
Quelques miettes tomber…
LETTRE À DIEU
aisse un peu sur mon sein
Mes amants reposer
Laisse un peu de ton pain
Quelques miettes tomber
Quelques miettes, j'ai dit,
Pas toute une fournée
Ni un train tout rempli
Ni une charretée !
Ta grâce en ce pain-là m'est très vite indigeste
Et je ne suis sensible à la beauté du geste.
Laisse un peu sur mon sein
Mes amants reposer
Laisse un peu de ton pain
Quelques miettes tomber
Seigneur, oublierais-tu comment tu m'as construit ?
Ignorant tes cantiques chantés en Paradis
Attaché à la vie, à ses plaisirs de bronze
Et plus qu'aux séraphins à des milliers de gonzes !
Laisse un peu sur mon sein
Mes amants reposer
Laisse un peu de ton pain
Quelques miettes tomber
Il faut être, Seigneur, raisonnable en tes voies
À la tombée du jour, hier au soir, tu m'envoies
Un être immatériel par les cieux mandaté
Un archange sans doute, en tout cas inspiré
Laisse un peu sur mon sein
Mes amants reposer
Laisse un peu de ton pain
Quelques miettes tomber
Ravi d'être bafoué, agneau tout consentant
Racontant son pillage en un céleste chant
Le front pur des Parfaits en ta grandeur confit
Pourquoi donc un archange ? Un ange aurait suffi.
Un ange un peu pervers avec qui on discute
Ou encore un démon ou bien un Belzébuth !
Il y en a de bons, j'en suis sûr, en Enfer
Il y en a de beaux à ne savoir qu'en faire.
Laisse un peu sur mon sein
Mes amants reposer
Laisse un peu de ton pain
Quelques miettes tomber
Mais tu m'envoies, Seigneur, un archange irradié
Ivre de sacrifice, de Toi tout pénétré,
Grand Saint de ton Eglise ou frère de ton Islam,
Prêcheur muet d'ascèse affichée comme un blâme,
De vertu zélateur, de morale bouffi
Renonciateur du sexe autant qu'un Komény !
Tout heureux des crachats lui décorant la peau
Demandant plus encore pour un martyre plus beau
Poussant l'abnégation jusqu'à n'être plus rien
Et qui s'en vient à moi pour me parler du Bien !
Laisse un peu sur mon sein
Mes amants reposer
Laisse un peu de ton pain
Quelques miettes tomber
Et tu voudrais qu'ainsi j'entende Ta parole ?
Serait-ce que des fois tu me prends pour un fol !
Ce programme ! j'aurais, même si j'étais vieux,
Non vraiment, mon Seigneur, tout ça n'est pas sérieux !
Laisse un peu sur mon sein
Mes amants reposer
Laisse un peu de ton pain
Quelques miettes tomber
Que leurs corps triomphants asservissent mon corps
Qu'ils purifient mon âme avec leurs sexes forts
Que des fausses morales leur venin soit lavé
Par le vice, lui seul chemin de pureté.
En attendant le jour où je devrai partir,
Laisse-moi de leurs coups divinement mourir !
Divinement, j'ai dit ? c'est bête ce mot-là !
Mon Dieu, de ce fatras pour longtemps je suis las…
Dieux de chair, dieux musclés, havres d'éternité
C'est eux seuls qui les donnent, et non ta sainteté.
Laisse un peu sur mon sein
Mes amants reposer
Laisse un peu de ton pain
Quelques miettes tomber
Virilité soumise à leur virile force
Ma morale, tout seul, c'est là que je la forge
Et loin de tes cilices, de tes sermons aussi
Pour être homme de bien, rien ne remplace un vit !
Laisse leur sueur mâle imprégner mes cheveux
Me vaincre leur lourdeur et me résoudre en eux
Laisse-les consteller mes jours de leur jeunesse
Laisse-les m'absorber quand le désir me presse
Oh ! laisse-moi mourir de leur violence nue
Oh ! laisse-moi renaître à leur tendresse bue
Laisse encore sur mon sein
Mes amants reposer
Laisse à ceux qui ont faim
Quelques miettes tomber…
Claude H.
Et puisque cette prière a été exaucée, dès demain et pour 10 jours consécutifs, des extraits incandescents de « J'AI AIMÉ, souvenirs d'un curé savoyard » dont la dédicace me bouleverse toujours :
À la mémoire
de l'Ami.
Il m'a laissé son recueil
à amender et à magnifier
pour qu'ici soient célébrées
ses “saintes amours illicites”.
Telle fut sa volonté ;
tel est mon hommage.