Seigneur, je ne comprends pas,
Je n'y comprends plus rien.
Tu me dis aujourd'hui
Que tu es FEU !
Non pas le feu gentil
Au fond de la cheminée, mais le feu qui dévaste,
L'incendie qui détruit.
Moi, je me trouvais bien,
Confortable.
J'aimais tout le monde
Et tout le monde m'aimait.
C'était bon, c'était chaud.
On chantait ensemble, on se donnait la main
Guili guili guitares et tambourins,
Tous frères, tous copains.
Toi, tu viens, tu gâches tout,
Tu parles d'un bain de feu,
D'un brasier, d'une fournaise
Dis, pour un baptême, c'est une douche écossaise !



- Mon petit, la vie n'est pas un chatouillis.
Si j'avais été docile et bien poli,
Je serais mort
Dans mon lit.
Mais je suis mort en croix,
En plein midi,
Nu, abandonné, à l'aube de ma vie.
J'avais dit des choses trop insensées,
J'avais fait des choses prématurées.
Ils ne me l'ont jamais pardonné…
Tout est consommé.
Mais un jour viendra,
Mon jour,
Jour de justice et de clarté !
Et ce jour-là,
Quand il viendra, tout changera :
Les masques tomberont,
Les rôles s'inverseront.
Le plus riche ne sera pas le plus fort,
Le plus fort ne sera pas forcément le meilleur.
La Loi ne sera plus la garantie indiscutable du Bien
Ni la religion établie l'étalon de la Foi.
Les liens du sang et de la chair
Ne seront plus prioritaires
Et les fils fugueurs seront reçus à bras ouverts.
En ce temps-là,
Quand viendra mon temps,
Les prêtres et les scribes ne seront plus les seuls serviteurs
De Dieu ni forcément les meilleurs
Et les César, les Pilate, les patrons et les maîtres
Mesureront leur gloire
Au son d'un denier teintant
Dévalué
Sur le pavé.
En ce temps-là,
Quand viendra mon temps,
Les criminels les plus endurcis
Ne perdront plus automatiquement leur tête ;
Les putains et les traîtres repentis
Voleront la première place aux notables nantis
Et les petits enfants des hommes
Redeviendront leurs maîtres
Et le Bon Dieu ne sera jamais plus
Un Croque-mitaine ou un vieux Jupiter !
Il sera pour toujours
L'Ami
Le frère
Le père
L'homme réconcilié.
Oh ! Comme je voudrais que ce temps soit enfin
Et qu'il brûle ce Feu jusqu'au cœur de la terre !
Feu qui rassemble et feu qui dévaste
Feu des longues attentes et des stérilités
Feu de l'embrasement universel !
Mais comme il tarde à venir ce jour incandescent !
Qui prendra le relais ?
D'où viendra la relève ?
Qui portera la flamme ?
Qui jettera dans l'usure du Temps
Dans la houle des mots
Dans les peurs
Dans les foules
Dans l'ennui quotidien
Visqueux et grisaillant…
Qui jettera enfin
Ce charbon ardent
Cette étoile
Ce diamant
Même s'il lui faut crier
Même s'il doit se brûler
Même s'il est consumé ?


Moi, Seigneur…
Si Tu le veux,
Je veux bien essayer.
Mais je suis tiède
Et las.
J'ai si peur de la croix,
J'ai si mal à ma Foi.

Fais-moi brûler de ce feu-là,
fais-moi brûler de TOI !






Ma vision du Nazaréen (d'après P.P. Pasolini dans son film "L'Évangile selon St Matthieu")