- De la mort.
- La mort ? À cette heure ?
- Ma mort.
- Drôle d'idée. D'abord, la mort en soi n'existe pas. C'est une abstraction. Dors.
- Une abstraction ? Mais un être – moi, en l'occurrence – qui soudain cesse de vivre… enfin, est menacé de cesser… sans le savoir, sans même l'entrevoir, sans pouvoir le prévoir… D'ailleurs, à tes côtés, je suis une abstraction peut-être ?
- Moi, je n'y songe jamais. Pas un seul instant. Je vis. Point. Sinon, bonjour l'angoisse !
- L'angoisse ? Non. Pas vraiment. Juste une perplexité… une curiosité lancinante. Un sentiment d'inconfort aussi : je la sens collée à mes basques !
- Normal, c'est ton double. Trop narcissique. L'obsession de soi conduit à l'obsession de la mort. T'as qu'à moins penser à toi, à moins écrire aussi. Et pète un coup, ça ira mieux.
- Fameux conseil ! Et toi, tu ne penses pas qu'à toi peut-être ? Toujours ton obsession de bouffer, picoler, pioncer, niquer…
- Nic et nunc ! T'as raison. Précisément. C'est ma devise. Le seul réel. Le reste, c'est du vent, un délire d'intello.
- Ok. L'intello t'emmerde. Mais tu as sans doute raison. Donc, tu es sûr, pas de problème ?
- No problème. Puisque la mort n'existe pas, je te dis ! Tu me fais confiance, oui ou non ? Toi, par contre, tu existes. Moi, j'existe. Nous existons. C'est bel et bon. Quoi d'autre ? Rien. Rendors-toi. Bonne nuit. À demain !
- Bonne nuit. À demain… si tout se passe bien !




Albrecht Dürer
Le chevalier, la mort et le diable (1513)
Gravure sur cuivre (détail)